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Avis 2023/21

 

Avis n° 2023/21 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif aux conditions de remboursement des frais de logopédie par l’assurance soins de santé, fixées par l’article 36 de l’annexe à l’arrêté royal du 14 septembre 1984 établissant la nomenclature des prestations de santé en matière d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités – version applicable du 1er mai 2023.

Avis émis en séance plénière du 16 octobre 2023.

Avis rendu d’initiative par le CSNPH.

 

1. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à :
    • Monsieur Frank Vandenbroucke, Vice-Premier ministre et Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique ;
    • l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI).
  • Pour information à :
    • La Commission de conventions logopèdes-organismes assureurs ;
    • Mme Hilde Crevits, Vice-Première ministre du gouvernement flamand et Ministre du Bien-être, de la Santé publique et de la Famille ;
    • Mme Christie Morreale, Vice-Première ministre du gouvernement wallon et Ministre du Travail, des Affaires sociales, de la Santé et de l'Egalité des chances ;
    • Monsieur Antonios Antoniadis, Vice-Premier ministre de la Communauté germanophone et Ministre de la Santé et des Affaires sociales, de l’Aménagement du territoire et du Logement ;
    • Mme Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris ;
    • Unia ;
    • Le mécanisme de coordination de l’UNCRPD ;
    • Le médiateur fédéral.
 

2. OBJET

Le présent avis concerne deux exclusions de remboursement par l’INAMI de la logopédie monodisciplinaire. La première exclusion se fonde sur un trouble de l’intelligence (quotient intellectuel inférieur à 86). La seconde exclusion concerne des affections psychiatriques (en particulier le trouble du spectre de l’autisme ou TSA).

 

3. ANALYSE

A. Dispositions litigieuses :

L’article 36 de l’annexe à l’arrêté royal du 14 septembre 1984 établissant la nomenclature des prestations de santé en matière d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités – version applicable du 1er mai 2023, dispose dans son § 2, b), 2° et f) qu’une intervention de l’assurance peut être accordée pour autant que le traitement puisse apporter une amélioration des troubles du langage et/ou de la parole [b)] ou de dysphasie [f)]. À condition toutefois qu’il y ait « absence d’un trouble de l’intelligence (QI total de 86 ou plus, mesuré par test individuel) ».

Le § 3, alinéa premier dispose que le traitement logopédique ne fait jamais l’objet de l’intervention de l’assurance dans les cas où le bénéficiaire :

    • présentant des troubles du langage et/ou de la parole ou atteint de dysphasie suit un enseignement spécial (1°),
    • est hébergé dans une institution subsidiée par les entités fédérées dans laquelle la fonction « logopède » est comprise dans les normes d’agrément (2°) ;
    • séjourne en MSP, en MRPA ou en MRS (4°),
    • est rééduqué dans un établissement ayant conclu avec l’INAMI ou avec les entités fédérées une convention couvrant notamment le traitement par un logopède (5°).

Le § 3, alinéa 2 dispose que l’intervention de l’assurance est également exclue dans les traitements logopédiques : « de troubles secondaires dus à des affections psychiatriques ou états émotionnels (…) ».

B. Exclusion de remboursement en cas de trouble de l’intelligence :

i. POURQUOI ?

Tant en Commission de la Santé et de l’Égalité des chances du 9 mai 2023 que lors de la Conférence interministérielle du 31 mai 2023, Frank Vandenbroucke, Ministre des Affaires sociales et de la Santé Publique, a déclaré que la Commission de conventions logopèdes-organismes assureurs estimait que, pour les enfants dont le QI est inférieur à 86, un traitement multidisciplinaire en centre de revalidation ambulatoire était plus adapté et plus efficace. L’intention est d’orienter l’enfant vers la meilleure solution pour lui.

⇒ Il est question de la meilleure solution pour l’enfant. Ce principe correspond à l’art. 3, § 1, de la CIDE et à l’art. 7 (2) d’UNCRPD qui disposent que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. À cet égard, le Comité des droits de l’enfant précise, dans son Observation générale no14 (point 32) que sur le plan législatif, cela implique de tenir compte de la situation de tous les enfants ou d’un groupe spécifique d’enfants ainsi que de tous les autres droits énoncés dans la CIDE.

Il découle de ce principe qu’il faut tenir compte de tous les groupes spécifiques d’enfants et des droits suivants :

      • 18 (1) de la CIDE : les parents sont les premiers responsables du développement de leur enfant, l’État doit les soutenir.
      • 6 (2) de la CIDE : l’État est tenu d’assurer dans toute la mesure possible le développement de l’enfant.
      • 23 (2) de la CIDE : les États sont tenus de reconnaître le droit d’un enfant handicapé de bénéficier d’une aide adaptée à l’état de l’enfant et à la situation de ses parents.
      • 24 (1) de la CIDE : les États doivent s’efforcer de garantir qu’aucun enfant ne soit privé de son droit d’accès aux services de soins de santé.
      • 26 (1) de la CIDE : les États sont tenus de reconnaître le droit de l’enfant de bénéficier de la sécurité sociale
      • 2 (1) de la CIDE : ces droits doivent être garantis sans discrimination.

Dans le cadre de la UNCRPD, cela implique de tenir compte des droits suivants :

      • 5 (3) d’UNCRPD: le droit aux aménagements raisonnables en tant qu’élément de non-discrimination.
      • 24 (2) (a) d’UNCRPD: le droit de suivre l’enseignement ordinaire. Le Comité des droits de l’enfant souligne lui aussi, dans son Observation générale n° 9 (points 66 et 67) que le droit à l’enseignement inclusif fait partie de l’art. 23 de la CIDE.
      • 25 (a) d’UNCRPD: le droit à la même gamme et la même qualité de services de santé que ceux offerts aux autres personnes.
      • 25 (b) d’UNCRPD: le droit à l’intervention précoce chez les enfants et à des mesures de prévention.
      • 25 (c) d’UNCRPD: le droit à des soins à proximité de chez eux.
      • 25 (e) d’UNCRPD: le droit à une assurance maladie à des conditions équitables et raisonnables, sans discrimination.

ii. NOTION de « trouble de l’intelligence » :

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé dans la 10e version de la Classification statistique internationale (CIM) des maladies et des problèmes de santé connexes (2019) quatre niveaux de retard mental :

      • léger (QI 50-69) ;
      • moyen (QI 35-49) ;
      • grave (QI 20-34) ;
      • profond (QI <20).

Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) applique à peu près les mêmes seuils dans son rapport n° 361 concernant l’accès aux soins de santé pour les personnes en situation de handicap intellectuel (2022) (p. 23 de la version anglaise intégrale).

La Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap (VAPH) définit un handicap intellectuel au moyen d’un critère d’intelligence basé sur un QI de 70-75.

Il est important de noter que dans la nouvelle version (11e) de la CIM de l’OMS (2022), il n’est plus fait référence à un seuil de QI spécifique. En effet, il est énoncé que les scores de QI peuvent varier en raison des caractéristiques techniques du test spécifique utilisé, des conditions de test et d’une série d’autres variables, et peuvent également varier de manière significative au cours du développement et de la vie de l’individu. Le diagnostic des troubles du développement intellectuel ne doit pas être posé uniquement sur la base des scores de QI, mais doit également inclure une évaluation complète du comportement adaptatif.

Pour diagnostiquer un handicap intellectuel, la VAPH fait elle aussi appel à des équipes multidisciplinaires qui observent notamment le patient dans des situations du quotidien, et pas uniquement sur la base d’un test de QI.

Il ressort de ce qui précède que le seuil de 86 est fixé arbitrairement à un niveau trop élevé pour diagnostiquer une déficience intellectuelle. Ce seuil ne reposant sur aucun fondement scientifique, il est donc probablement motivé par des raisons budgétaires.

Les nouveaux critères de diagnostic de l’OMS excluent purement et simplement les scores de QI en tant que critère fiable de diagnostic d’un handicap intellectuel. Le fait que l’art. 36, § 2, b), 2° et f) parle de trouble de l’intelligence constaté au moyen d’un test de QI revient de facto à poser un diagnostic exclusivement fondé sur un seuil de QI (trop élevé), sans tenir compte de la capacité d’adaptation de la personne examinée. Plusieurs études indiquent pourtant que les scores de QI des enfants reflètent leurs capacités actuelles et en aucun cas leur potentiel de développement du langage.

iii. DISPONIBILITÉ des traitements de logopédie :

    • Seuil de QI fixé arbitrairement – violation de l’art. 25 (e) d’UNCRPDet de l’art. 26 (1) de la CIDE

En vertu de l’art. 36, § 2, b), 2°, et f), de l’annexe à l’AR, les personnes présentant un QI évalué à moins de 86 n’ont pas accès au remboursement des séances de logopédie monodisciplinaire. 

Le seuil de 86 est supérieur aux normes scientifiques. Par ailleurs, une limite stricte n’est pas non plus recommandée, dans la mesure où plusieurs études démontrent que les scores de QI des enfants reflètent leurs capacités actuelles et en aucun cas leur potentiel de développement du langage. UNIA souligne également ce point.

Par conséquent, une limite stricte n’est pas recommandée de manière générale, il convient de tenir compte de la capacité d’adaptation de l’enfant.

Il s’agit d’une violation de l’art. 25 (e) d’UNCRPDet de l’art. 26 (1) de la CIDE, puisque l’assurance maladie n’est pas fournie de manière raisonnable, mais d’une manière discriminatoire qui n’est pas justifiable de manière objective et scientifique.

    • Exclusion de remboursement et accès difficile à la logopédie monodisciplinaire à ses propres frais – violation des art. 6 (2) et 26 (1) de la CIDE ; art. 25 (a), (b) et (e) de la UNCRPD.

La logopédie monodisciplinaire est également difficile d’accès sans intervention de l’INAMI, dans la mesure où certains logopèdes conventionnés refusent les enfants en situation de handicap intellectuel (p. 11) parce que ceux-ci ne peuvent être comptabilisés dans le quota à atteindre pour l’avantage social.

⇒ Cet accès restreint constitue une violation des 6 (2) et 26 (1) de la CIDE: le développement de l’enfant est assuré dans toute la mesure possible si la sécurité sociale garantit une offre d’aides remboursables la plus vaste possible.

⇒ Par ailleurs, il s’agit également d’une violation de l’art. 25 (a) et (e) d’UNCRPD: l’offre de services pour les personnes en situation de handicap intellectuel n’est pas équivalente à l’offre pour les autres personnes. En outre, l’assurance maladie n’est pas fournie sans discrimination, étant donné que la différence entre les personnes ayant un QI > 86 et celles ayant un QI < 86 n’est pas justifiable de manière objective et scientifique.

⇒ Enfin, il y a également violation de l’ 25 (b) d’UNCRPD dans la mesure où l’accès à la logopédie dès le plus jeune âge a l’avantage de réduire considérablement l’apparition de troubles du comportement et le développement de problèmes psychiques. Un tiers des personnes en situation de handicap intellectuel développent ce genre de problèmes au cours de leur vie, une approche préventive réduirait par conséquent les coûts des soins de santé de ces patients pour l’INAMI.

Les enfants peuvent toutefois fréquenter l’enseignement spécial disposant d’un logopède en interne, sans oublier les centres de revalidation ambulatoire qui offrent un traitement multidisciplinaire incluant des services de logopédie. Cette approche est scientifiquement recommandée aux personnes en situation de handicap intellectuel.

    • Piste 1 : un enfant en situation de handicap intellectuel peut fréquenter l’enseignement spécial (éventuellement en combinaison avec réhabilitation multidisciplinaire) :

Il découle de l’art. 36, § 3, alinéa premier, 1°, que les enfants qui suivent l’enseignement spécial seront exclus du remboursement des séances de logopédie monodisciplinaire parce que ces écoles disposent de leur propre logopède. 

Problème : aucun contrôle n’est effectué pour s’assurer que la logopédie est effectivement dispensée + périodes extrascolaires
Voir avis 2022/29 : des parents se plaignent régulièrement du fait que leurs enfants ne bénéficient pas de séances de logopédie parce que ces heures sont consacrées à d’autres types de revalidation (kinésithérapie…).

Cela porte par conséquent atteinte à l’art. 24 (1) de la CIDE. Il n’y a aucune action visant à garantir à ces enfants le droit d’accès aux services de soins de santé.

Problème : droit à l’enseignement inclusif
En vertu de l’art. 23 de la CIDE et de l’art. 24 (2)(a) de la UNCRPD, les enfants en situation de handicap ont droit à un enseignement inclusif.

Premièrement, l’enseignement inclusif nécessite de fournir des services de logopédie dans les écoles ordinaires. Voir avis 2023/03.

Deuxièmement, cela signifie aussi qu’il faut laisser le choix aux parents de décider s’ils veulent inscrire leur enfant dans l’enseignement spécialisé ou dans l’enseignement ordinaire (voir avis 2022/29). S’ils choisissent cette seconde option, les séances de logopédie doivent pouvoir bénéficier d’un remboursement. C’est ce qu’il ressort de l’art. 18 (1) de la CIDE, qui dispose que l’État doit soutenir les parents qui sont les premiers responsables du développement de l’enfant. Ainsi que du droit à l’enseignement inclusif de l’art. 23 de la CIDE et de l’art. 24 (2)(a) de la UNCRPD.

    • Piste 2 : disponibilité des centres de revalidation ambulatoire

Il découle de l’art. 36, § 3, alinéa premier, 5°, de l’annexe à l’AR que les personnes qui reçoivent des soins dans les centres de revalidation ambulatoire sont exclues du remboursement des séances de logopédie monodisciplinaire.

Bien que la recherche scientifique révèle qu’une approche multidisciplinaire offre la meilleure qualité de soins pour les personnes en situation de handicap intellectuel, cette limitation de l’offre de soins reste (voir plus haut) contraire aux art. 6 (2) et 26 (1) de la CIDE, ainsi qu’à l’art. 25 (a) et (e) de la UNCRPD.

Problème A : seuil arbitraire de 86 – violation de l’art. 25 (e) d’UNCRPD(voir plus haut).

Problème B : accès limité aux centres de revalidation. Le problème est plus marqué en Wallonie qu’en Flandre, mais les deux font face à une mauvaise répartition géographique des centres de revalidation et parfois à de longues listes d’attente.

Bien que le déploiement des centres de revalidation soit une compétence des entités fédérées, l’adaptation du code INAMI est une compétence fédérale. Cette adaptation est nécessaire en raison des obligations internationales suivantes de la Belgique :

    • La Belgique doit tenir compte de la situation des parents (longs trajets jusqu’à un centre de revalidation, longues listes d’attente) lorsqu’il s’agit de garantir à l’enfant le droit de bénéficier de soins spéciaux ( 23 (2) CIDE et art. 25 (c) UNCRPD) et le droit au développement dans toute la mesure possible (art. 6 (2) CIDE).

    • Par ailleurs, la Belgique doit garantir qu’aucun enfant (même celui qui habite loin d’un centre de revalidation) ne soit privé de l’accès aux services de soins de santé ( 24 (1) CIDE).

    • La Belgique doit reconnaître le droit à la sécurité sociale de l’enfant en situation de handicap intellectuel ( 26 (1) CIDE et art. 25 (e) UNCRPD).

C. Exclusion de remboursement si les besoins en matière de logopédie sont DUS À une affection psychiatrique :

i. Notion de « trouble du spectre de l’autisme »

Le TSA figure dans le 5e Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders de l’American Psychiatric Association (DSM-5). Il est donc considéré comme une affection psychiatrique, bien que tous les membres de la communauté scientifique ne partagent pas cet avis (p. 288).

ii. Interprétation de « troubles secondaires dus à »

La nomenclature indique que le remboursement de la logopédie monodisciplinaire est exclu pour les troubles secondaires dus à des affections psychiatriques. En 2016, le tribunal du travail de Louvain a déjà jugé qu’aucun lien de causalité ne pouvait être démontré entre le TSA et les troubles de la parole. Le tribunal en avait donc conclu que, dans ce cas concret, la mutualité devait rembourser la logopédie monodisciplinaire.

Les organisations professionnelles de logopèdes (p. 288) semblent suivre l’avis du tribunal et interprètent la nomenclature dans le sens où aucun remboursement n’est possible si un lien de causalité est prouvé entre l’affection psychiatrique et le trouble de la parole.

Toutefois, l’INAMI considère (p. 288) qu’aucune intervention n’est possible dès lors qu’une affection psychiatrique a été diagnostiquée.

Cette interprétation va littéralement à l’encontre du texte de la nomenclature, car l’art. 36, § 3, alinéa 2 NE MENTIONNE PAS que l’intervention de l’assurance est exclue pour le traitement de troubles dans le cas d’affections psychiatriques. Il mentionne : « troubles secondaires dus à ».

iii. DISPONIBILITÉ des traitements de logopédie : voir plus haut – DISPONIBILITÉ des traitements de logopédie.

 

4. AVIS

A. Diagnostic de handicap intellectuel et/ou de TSA :

Compte tenu des lignes directrices scientifiques, le CSNPH souligne l'importance d'un diagnostic multidisciplinaire.

Il semble logique que les règles actuelles qui ne permettent pas le remboursement d'une thérapie logopédique monodisciplinaire pour les personnes avec un handicap intellectuel et/ou un TSA partent d'un diagnostic multidisciplinaire établi.

B. Accès (mixte) aux traitements de logopédie pour les personnes atteintes d’un handicap intellectuel – art. 36, § 2, b), 2° et f) :

Bien que l’approche multidisciplinaire soit scientifiquement recommandée pour les enfants avec un handicap intellectuel, il y a au moins trois considérations juridiques pour lesquelles l’accès à la logopédie monodisciplinaire doit être possible en complément de l’approche multidisciplinaire.

Premièrement parce que le seuil de QI de 86 est arbitrairement fixé. De ce fait, la distinction entre les personnes ayant un QI supérieur à 86 et celles dont le QI est inférieur à 86 n’est pas objectivement justifiable (i).

Ensuite parce que l’exclusion de remboursement de la logopédie monodisciplinaire a un impact sur le droit à l’enseignement inclusif (ii).

Enfin parce que la Belgique doit exécuter de bonne foi ses obligations internationales en vertu de l’art. 26 de la CVDT. Ces obligations comprennent notamment le devoir de tenir compte de la situation des enfants et de leurs parents (art. 23 (2) CIDE et art. 25 (c) UNCRPD) et du droit au développement dans toute la mesure possible (art. 6 (2) CIDE) (iii).

i. Seuil de QI arbitraire – art. 25 (e) UNCRPD et art. 26 (1) CIDE :

Avant toute chose, il convient de souligner que le seuil de 86 est supérieur à la définition scientifique d’un retard mental léger (KCE, CIM : QI 70-55 ; VAPH : QI 75-77). Quelle en est la raison, en dehors de considérations budgétaires ?

Ce seuil de QI arbitraire constitue une violation de l’art. 25 (e) d’UNCRPDet de l’art. 26 (1) de la CIDE. L’assurance maladie est fournie d’une manière discriminatoire étant donné que la distinction entre les personnes avec un QI supérieur à 86 et celles avec un QI inférieur à 86 n’est pas justifiable de manière objective et scientifique.

De manière générale, on peut affirmer qu’une limite de QI stricte n’est pas recommandée, puisque plusieurs études montrent que les scores de QI des enfants reflètent les capacités actuelles des enfants et en aucun cas leur potentiel de développement du langage. UNIA souligne également ce point.

ii. Droit à l’enseignement inclusif et accès aux services de soins de santé – art. 23 et 24 (1) CIDE ; art. 24 (2)(a) et art. 25 (a) UNCRPD :

Les enfants ont droit à un enseignement inclusif en vertu de l’art. 23 de la CIDE et de l’art. 24 (2)(a) de la UNCRPD. Cela signifie qu’il faut laisser aux parents, premiers responsables du développement de l’enfant (art. 18 (1) CIDE), le choix de décider s’ils veulent inscrire leur enfant dans l’enseignement spécialisé ou dans l’enseignement ordinaire. Ce choix ne peut avoir aucun impact sur les interventions de l’INAMI dans les soins de santé. Par conséquent, des services de logopédie monodisciplinaire remboursés doivent aussi être disponibles en dehors de l’enseignement spécialisé.

En outre, ce besoin est justifié par l’art. 24 (1) de la CIDE qui indique que la Belgique doit garantir qu’aucun enfant ne soit privé de son droit d’accès aux services de soins de santé. En effet, aucun contrôle n’est effectué pour s’assurer que la logopédie est effectivement dispensée durant les heures prévues. Ainsi, des parents se plaignent régulièrement du fait que leurs enfants ne bénéficient pas de séances de logopédie parce que ces heures sont consacrées à d’autres types de revalidation (kinésithérapie… – voir avis 2022/29). De plus, il n’y a pas de séances de logopédie pendant les vacances…
L'art. 25 (a) UNCPRD également justifie la nécessité des services de logopédie monodisciplinaire remboursés en dehors de l’éducation spéciale. En effet, l’article stipule que les enfants en situation de handicap ont droit au même éventail de services de santé que les autres personnes.

iii. Obligations internationales de la Belgique – art. 26 CVDT :

L’approche multidisciplinaire dans les centres de revalidation est recommandée pour les enfants atteints d’un handicap intellectuel ou de TSA. Néanmoins, la répartition géographique des centres laisse à désirer et il y a parfois de longues listes d’attente. Le problème est plus marqué en Wallonie qu’en Flandre.

Bien que le déploiement des centres de revalidation (conformément à l’art. 25 (c) de la UNCRPD) soit une compétence des entités fédérées, l’adaptation du code INAMI est une compétence fédérale. Cette adaptation est nécessaire en raison des obligations internationales suivantes de la Belgique :

        • La Belgique doit tenir compte de la situation des parents (longs trajets jusqu’à un centre de revalidation, longues listes d’attente) lorsqu’il s’agit de garantir à l’enfant le droit de bénéficier de soins spéciaux ( 23 (2) CIDE et art. 25 (c) UNCRPD).

        • La Belgique doit s’efforcer de respecter le droit au développement de l’enfant dans toute la mesure possible ( 6 (2) CIDE). Un développement dans toute la mesure possible ne peut être assuré que s’il existe une vaste offre de soins de santé financièrement accessible.

        • Par ailleurs, la Belgique doit garantir qu’aucun enfant (même celui qui habite loin d’un centre de revalidation) ne soit privé de l’accès aux services de soins de santé ( 24 (1) CIDE).
          Le libre choix du prestataire, garanti par l’art. 6 de la loi relative aux droits du patient, s’inscrit dans le prolongement de ceci.

        • Par ailleurs, la Belgique doit garantir qu’aucun enfant (même celui qui habite loin d’un centre de revalidation) ne soit privé de l’accès aux services de soins de santé ( 24 (1) CIDE).
          Lu conjointement avec l’art. 18 (1) de la CIDE, cette disposition signifie que les parents, en tant que premiers responsables du développement de l’enfant, peuvent compter sur l’aide de l’État. Et ce quel que soit leur choix du type de traitement de logopédie qu’ils estiment être dans l’intérêt supérieur de leur enfant dans leur situation spécifique.

        • La Belgique doit reconnaître sans discrimination le droit à la sécurité sociale de l’enfant en situation de handicap intellectuel ( 26 (1) CIDE et art. 25 (e) UNCRPD) – argumentation sous le point (i).

Par conséquent, le CSNPH se joint à l’appel d’UNIA visant à réviser l’art. 36, § 2, b), 2° et f) de telle sorte que les enfants en situation de handicap intellectuel puissent aussi avoir accès à la logopédie monodisciplinaire (en complément ou non de l’approche multidisciplinaire).

⇒ Le CSNPH souligne l'importance d'une approche multidisciplinaire et note qu'une logopédie monodisciplinaire devrait être possible, à condition qu'elle soit réalisée en collaboration avec une équipe multidisciplinaire (centres de réhabilitation).

⇒ Le CSNPH souhaite également rappeler son avis 2023/03 émis conjointement avec les conseils consultatifs des entités fédérées : il est nécessaire de renforcer l’offre de services de logopédie dans les écoles ordinaires pour que l’enseignement inclusif puisse être mis en œuvre de manière efficace.

Dans le cadre de l’appel d’UNIA, il est également demandé de permettre l’accès à l’intervention de l’INAMI dans les frais de logopédie monodisciplinaire PARALLÈLEMENT à l’accès au traitement multidisciplinaire.

C. Accès (mixte) aux traitements de logopédie pour les personnes atteintes de TSA – art. 36, § 3, alinéa 2 :

Aussi dans le cas d’enfants atteintes de TSA, les lignes directrices. En effet, le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), dans une guide de pratique clinique de 2014, indique que les séances de logopédie doivent commencer le plus tôt possible chez les enfants souffrant de troubles de la parole et du langage et que la logopédie doit faire partie d'une approche multidisciplinaire (p. 16). Toutefois, les enfants atteints de TSA ont droit à la même gamme de services de santé que les autres personnes non atteintes de TSA (article 25 (a) de la UNCRPD). En outre, comme l'indique le KCE (p. 16), une intervention au plus tôt est cruciale.  Ainsi, les enfants devraient bénéficier d'une aide rapide (art. 25 (b) de la UNCRPD)..

En outre, la nomenclature elle-même stipule que l’intervention de l’INAMI n’est exclue qu’en cas de troubles de la parole secondaires dus à des affections psychiatriques. Cela suppose un lien de causalité, comme l’a retenu le tribunal du travail de Louvain en 2016 et comme le retiennent les organisations professionnelles de logopèdes.

L’interprétation actuelle de l’art. 36, § 3, alinéa 2 par l’INAMI constitue une violation de l’art. 25 (e) d’UNCRPDet de l’art. 26 (1) de la CIDE. L’assurance maladie est fournie de manière inéquitable, car il s’agit d’une interprétation discriminatoire de l’art. 36 au détriment des personnes atteintes de TSA.

L’intervention de l’INAMI doit donc être possible pour les séances de logopédie monodisciplinaire en cas de troubles de la parole qui ne sont pas dus au TSA OU l’exclusion des affections psychiatriques dans leur ensemble doit purement et simplement être supprimée du texte législatif.

A nouveau, le CSNPH souhaite souligner l'importance d'un suivi multidisciplinaire. Une thérapie logopédique monodisciplinaire doit donc être mise en place, en collaboration avec une équipe multidisciplinaire (centres de réhabilitation).

Nous demandons une nouvelle fois que les modifications législatives nécessaires soient effectuées afin de permettre une prise en charge mixte (logopédie monodisciplinaire et un traitement multidisciplinaire incluant des services de logopédie).

D. En ce qui concerne l’exclusion « enseignement spécial » – art. 36, § 3, alinéa premier, 1° :

L’exclusion de l’intervention de l’INAMI pour les personnes qui fréquentent l’enseignement spécialisé constitue une violation des articles 6 (2) de la CIDE et 25 (a) de la UNCRPD. La Belgique doit assurer à l’enfant un développement le plus large possible. Cela signifie que les enfants hors de l’enseignement spécialisé ont également droit à l’accès à des séances de logopédie à un coût abordable. Le fait qu'ils fréquentent un enseignement spécialisé ne peut faire obstacle au remboursement de logopédie monodisciplinaire, si les parents jugent nécessaire de la suivre.

Nous demandons la suppression de l’art. 36, § 3, alinéa premier, 1°.