Avis 2023/05
Avis n° 2023/05 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif au projet d’arrêté royal portant le trajet d’accueil, rendu en séance plénière du 20/03/2023.
Avis rendu à la demande de Madame Petra De Sutter, Vice-Première Ministre et Ministre de la Fonction publique, des Entreprises publiques, des Télécommunications et de la Poste, par lettre du 27 janvier 2023.
1. AVIS DESTINÉ
- Pour suite utile à Madame Petra De Sutter, Vice-Première Ministre et Ministre de la Fonction publique, des Entreprises publiques, des Télécommunications et de la Poste
- Pour information à Madame Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris
- Pour information à Unia
- Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD
- Pour information au Médiateur fédéral
2. OBJET
Un projet d’arrêté royal crée un statut en faveur des personnes en situation de handicap visées à l’article 1er de l’arrêté royal du 6 octobre 2005 portant l’inclusion des personnes handicapées et des aménagements raisonnables lors de sélections, à savoir : « le trajet d’accueil ».
3. ANALYSE
Le projet d’arrêté royal, l’exposé des motifs ainsi que le PowerPoint présenté lors de la réunion de la CARPH du 17 janvier 2023 contiennent les éléments suivants :
A. Généralités
Le trajet d’accueil n’est pas un parcours obligatoire que les personnes en situation de handicap doivent suivre pour être employées comme agents de l’État. La possibilité d’effectuer un stage statutaire classique, éventuellement combiné à une entrée en service sur la base de la règle de priorité, continue d’exister parallèlement à ce trajet.
En général, le trajet d’accueil se compose de différents éléments. Premièrement, le trajet implique un « emploi flexible ». Cela se traduit au niveau du recrutement et de la fin du trajet. Deuxièmement, le trajet est axé sur un accompagnement et une formation intensifs du membre du personnel pendant le trajet. Enfin, le trajet d’accueil comprend un élément de rémunération dans le sens où une expérience mutuelle positive débouche sur une relation de travail stable.
Concrètement, le trajet d’accueil comprend quatre phases :
- une procédure de sélection allégée ;
- un stage flexible pendant six mois, éventuellement prolongé ;
- un stage statutaire classique de six mois, éventuellement prolongé ;
- une nomination en qualité d’agent de l’État en cas d’évaluation positive.
Le trajet d’accueil vise principalement à favoriser l’emploi des personnes handicapées au sein de la fonction publique administrative fédérale en prévoyant une période d’adaptation mutuelle entre l’employeur et le travailleur.
Le but final de ce statut spécifique est de jouer le rôle de levier entre le groupe cible spécifique d’une part et l’administration fédérale en tant qu’employeur attractif et inclusif d’autre part.
Le membre du personnel se voit attribuer un accompagnateur qui le guide et le soutient dans l’exercice de sa fonction et lors de son intégration au sein du service fédéral.
B. Recrutement
En ce qui concerne le recrutement, aucune sélection continue ou comparative ne doit avoir lieu. Cela signifie que le service qui recrute peut organiser lui-même une forme de sélection allégée et flexible, sans toutefois porter préjudice au contrôle d’objectivité du directeur général Recrutement et Développement du Service public fédéral Stratégie et Appui. Cela signifie entre autres qu’il doit publier l’offre d’emploi sur son site web. Si plusieurs candidats sont intéressés par l’offre d’emploi, le service fédéral qui recrute doit organiser un test oral permettant d’établir un classement des candidats.
C. Stage
- AVANT
Les membres du personnel statutaires effectuent une période de stage d'un an.
Le stage s’accomplit à temps plein. Toutefois, lorsque le stagiaire est une personne handicapée, il peut demander à accomplir son stage à mi-temps ou à quatre cinquièmes temps. Dans ce cas la durée du stage est prolongée à due concurrence.
- REFORME
- les mots « à concurrence de la moitié et à concurrence d'un cinquième des prestations » sont abrogés : flexibilité accrue (par ex. 3/4e ; 9/10e; 2 tiers).
- Plus inclusif et plus accessible: une personne en situation de handicap non-reconnue au sens de l’arrêté royal de 2005 peut par exemple en bénéficier.
D. Rémunération
Le membre du personnel est censé être titulaire de la classe à laquelle ou du grade auquel il s’est porté candidat. Il bénéficie des dispositions qui règlent pour les agents de l’État :
- les allocations et indemnités de toute nature, dans la mesure où le fait qui donne lieu à l’octroi d’une allocation ou d’une indemnité est compatible avec l’exercice continu du trajet d’accueil ;
- le statut pécuniaire.
E. Motifs de cessation
Le fonctionnaire dirigeant du service fédéral qui recrute le membre du personnel peut mettre fin au trajet d’accueil sous certaines conditions. Ces modalités de cessation s’inscrivent dans le cadre des éléments d’emploi flexible, d’adaptation mutuelle et de levier. Le fonctionnaire dirigeant peut invoquer deux motifs pour mettre fin au trajet d’accueil, à savoir lorsqu’il estime que les compétences ou les capacités du membre du personnel sont insuffisantes pour l’exécution de la fonction ou qu’une adaptation mutuelle est impossible.
Le premier motif de cessation concerne la relation entre le membre du personnel et sa fonction. Cela signifie que si le fonctionnaire dirigeant estime que le membre du personnel n’est pas en mesure de mener à bien les tâches liées à la fonction, il peut décider de mettre fin au trajet d’accueil.
Le second motif de cessation concerne la relation entre le membre du personnel et le lieu de travail dans son ensemble, tant en ce qui concerne l’environnement que le personnel. Concrètement, cela signifie que si le fonctionnaire dirigeant ne voit pas de déclic professionnel ou estime qu’une relation de travail durable n’est pas possible entre le membre du personnel et son service fédéral, il peut décider de mettre fin au trajet d’accueil.
Le fonctionnaire dirigeant doit motiver sa décision. Il n’y a pas d’intervention de la commission d’évaluation s’il est mis fin au trajet d’accueil sur la base de cet article. Le délai de préavis s’élève à un mois.
Ces modalités de cessation ne sont valables que pendant les six premiers mois du trajet d’accueil qui a éventuellement été prolongé. Cela signifie que la véritable prise de connaissance ou adaptation mutuelle a lieu pendant cette période. Par conséquent, si le trajet se poursuit après cette période, le membre du personnel aura pratiquement le même statut qu’une personne qui suit le stage classique.
F. Entretiens
Au moins cinq entretiens doivent avoir lieu pendant le trajet d’accueil, à savoir : un entretien préliminaire, trois entretiens d’évaluation intermédiaires et un entretien à la fin. L’accompagnateur du membre du personnel est présent pendant cet entretien sauf si le membre du personnel renonce à ce droit.
Outre la fixation des différents objectifs et l’évaluation des prestations du membre du personnel, ces entretiens sont l’occasion de vérifier si certains aménagements raisonnables sont nécessaires pour adapter l’environnement de travail à la situation spécifique du membre du personnel. Le fait qu’il soit clarifié de manière réglementaire dans le présent arrêté que des aménagements raisonnables doivent être abordés lors des évaluations ne signifie pas que de tels aménagements ne doivent pas être examinés dans le cadre d’un emploi statutaire ou contractuel classique. Ces obligations découlent en effet directement du droit national et international.
G. Nomination
Le membre du personnel est nommé agent de l’État si, à l’issue de son trajet d’accueil, il n’a pas reçu la mention « insuffisant » ou si la commission d’évaluation, telle que définie à l’article 26 de l’arrêté sur l’évaluation, a proposé sa nomination dans la classe à laquelle ou le grade auquel il s’est porté candidat.
4. AVIS
Le présent avis ne porte que sur le projet d’arrêté royal portant le trajet d’accueil. Pour d’autres réflexions portant sur l’augmentation du taux d’emploi dans la fonction publique, le CSNPH renvoie notamment à son avis 2023-02 sur le projet d’arrêté royal portant diverses mesures en vue de l’inclusion des personnes handicapées et des aménagements raisonnables lors de sélections.
Le CSNPH se réjouit du fait qu’une plus grande flexibilité est introduite dans le déroulement du stage. Le CSNPH est également satisfait du fait qu’en complément des nouvelles possibilités de recrutement contractuel réservées aux personnes avec handicap, un complément soit prévu pour des sélections spécifiques menant à un emploi statutaire.
Cependant, le CSNPH rappelle que pour que les actions positives soient conformes aux prescriptions de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, il convient notamment :
- De veiller à ce que les employeurs ne cantonnent pas les personnes handicapées à certaines professions, à des emplois réservés ou à des unités d’emploi spéciales ;
- De veiller à ce que les employeurs ne restreignent pas l’accès des personnes handicapées aux possibilités de promotion et d’évolution de carrière ;
- De faire en sorte que le travail promu ne corresponde pas à un emploi « factice », situation dans laquelle des personnes handicapées sont embauchées par des employeurs mais n’effectuent aucun travail ou n’occupent pas un emploi utile, sur la base de l’égalité avec les autres ;
- De prendre en considération les questions relatives au handicap, au genre et à l’âge, sur l’ensemble du lieu de travail.
Il est donc essentiel que les personnes en situation de handicap ne soient pas limitées à certains types de métiers ou de contrat et puissent bénéficier d’un parcours de carrière complet et dynamique. Il est aussi primordial que les emplois qui sont proposés au moyen de cette procédure ne soient pas basés sur des clichés et préjugés à l’égard des personnes en situation de handicap. La personne en situation de handicap ne peut en aucun cas être infantilisée.
De même, le recrutement des personnes en situation de handicap ne peut pas se faire uniquement via cette procédure. Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir continuer à avoir accès à la procédure ordinaire de recrutement, ainsi qu’à la procédure prévue par l’arrêté royal du 6 octobre 2005 portant diverses mesures en matière de sélection comparative de recrutement et en matière de stage.
Le CSNPH relève positivement qu’il est mentionné dans la note au Collège des Présidents du 13 décembre 2022 que : « chaque organisme public fédéral développera une politique RH adaptée pour une approche coordonnée de l’accompagnement individuel des candidats à l’emploi (par exemple, les contrats de premier emploi) et des collaborateurs en situation de handicap, ainsi que de l’accompagnement de leurs responsables et des équipes où ces collaborateurs seront déployés. Pour faciliter cette démarche, un projet pilote ou une communauté de pratique sera mis en place avec les organisations intéressées afin de développer des modèles d’outils basés sur la plateforme eDiv23 et en collaboration avec Unia et le SPF BOSA (par exemple : un protocole d’intégration, des brochures d’information), qui pourront ensuite être partagés et adaptés à chaque organisation. Cela garantira une approche coordonnée et permettra de partager les bonnes pratiques, tout en laissant à toutes les autorités fédérales la possibilité de procéder à des adaptations en fonction des besoins, du profil et des ressources de leur propre organisation. » Le CSNPH demande à être associé à la réflexion et au suivi de ce projet pilote.
Le CSNPH se pose cependant plusieurs questions sur une série de points.
- « Une personne en situation de handicap non reconnue au sens de l’arrêté royal de 2005 peut en bénéficier.» S’agit-il des catégories de personnes rajoutées dans le projet d’arrêté royal portant diverses mesures relatives aux personnes handicapées et des aménagements raisonnables lors de sélections (article 6) ?
- En ce qui concerne le recrutement, le CSNPH se demande quels canaux seront mis en œuvre afin de toucher un maximum de personnes en situation de handicap. Des collaborations avec des associations de personnes en situation de handicap sont-elles prévues ?
- « Le service qui recrute peut organiser lui-même une forme de sélection allégée et flexible. » Quelles seront les incitants pour les administrations qui se lanceront dans cet exercice ? Est-ce que cette procédure concernera tous les niveaux ?
- « Cela signifie entre autres qu’il doit publier l’offre d’emploi sur son site web. Si plusieurs candidats sont intéressés par l’offre d’emploi, le service fédéral qui recrute doit organiser un test oral permettant d’établir un classement des candidats. » Pourquoi se limite-t-on à un test oral ? Est-ce que ce test sera un critère de recrutement déterminant ?
- En ce qui concerne l’accompagnateur, le CSNPH se demande s’il s’agit d’un agent déjà en place, d’un membre d’une association de personnes en situation de handicap, d’un aidant proche extérieur, … S’il s’agit d’une personne extérieure à l’administration, comment sera-t-elle rémunérée ?
- Le CSNPH lit que « deuxièmement, le trajet est axé sur un accompagnement et une formation intensifs du membre du personnel pendant le trajet ». Tous les frais seront-ils pris en charge par le département qui recrute ou par le SPF Stratégie et Appui (BOSA) ?
- Au sujet des aménagements raisonnables pendant le stage, le CSNPH souhaiterait savoir s’ils s’appliquent aussi aux formations. Par exemple, si une formation a lieu à Bruxelles et que le travailleur est affecté à Bruges, dans quelle mesure l’employeur peut lui prévoir un transport adapté pour se rendre sur le lieu de formation ?
- Toujours au niveau des aménagements raisonnables : qu’en sera-t-il si la personne en situation de handicap ne peut pas prendre les transports en commun et qu’elle a besoin d’un transport adapté plus cher pour se rendre sur son lieu de travail ? Ce genre de dépenses pourront-elles être prises en charge par l’administration ?
Finalement, le CSNPH craint que la procédure de fin du trajet d’accueil (motifs de cessation) soit trop soumise à l’arbitraire du fonctionnaire dirigeant. Cette procédure ne devrait-elle pas s’inscrire plutôt dans le cadre de l’évaluation traditionnelle ? Le CSNPH se demande également dans quelle mesure les procédures de recours prévues par le statut sont applicables au trajet d’accueil.