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Avis 2021/15


Avis n° 2021/15 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à la proposition de révision de l’article 23 de la Constitution en vue de le compléter pour consacrer le droit à la mobilité, rendu en séance plénière du 19 avril 2021.

Avis rendu à la demande de Madame Özlem Özen, Présidente de la Commission de la Constitution et du Renouveau institutionnel, par courrier électronique du 23 mars 2021.

1. OBJET

Une proposition de révision de l’article 23 de la Constitution en vue de le compléter pour consacrer le droit à la mobilité a été encommissionnée à la Chambre.

2. ANALYSE

L’article 23 de la Constitution est rédigé comme suit :

Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :

    1. le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective;
    2. le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique;
    3. le droit à un logement décent;
    4. le droit à la protection d'un environnement sain;
    5. le droit à l'épanouissement culturel et social;
    6. le droit aux prestations familiales.

Les développements de la proposition contiennent notamment les éléments suivants :

Aux côtés du travail, de la sécurité sociale, d’un logement décent, de la protection de la santé…, l’évolution de notre société charrie de nouveaux besoins que nous devons considérer comme essentiels, comme nécessaires, comme préalables même, à l’épanouissement de nos libertés. Nous pensons à la nécessité de pouvoir se déplacer qui s’inscrit dans la modernité de notre société.

(…). L’impossibilité de se déplacer constitue, d’une part, un frein à l’émancipation et à l’épanouissement de tous, et d’autre part, empoisonne aussi la vie quotidienne et s’inscrit en porte à faux du principe d’égalité des chances et des conditions.

Plutôt que de se contenter du droit à la liberté de circulation, nous défendons un droit à une mobilité effective et respectueuse de l’intérêt général notamment via l’accès à un service universel en matière de transports en commun. Le droit à la mobilité ne se réfère pas à n’importe quelle mobilité.

(…) nous voulons surtout nous inscrire dans un partage équitable de l’espace public entre les différents usagers.

Il faut entendre par droit à une mobilité effective et respectueuse de l’intérêt général, le droit à une mobilité socialement, géographiquement et physiquement accessible.

Le droit à une mobilité physiquement accessible concerne au premier chef l’accessibilité des personnes handicapées aux différents moyens de déplacements. Inscrire l’accessibilité physique à la mobilité dans la Constitution nous engage plus loin dans la voie de l’intégration des personnes handicapées dans notre société.

(…) C’est une mobilité qui doit pousser l’État à développer et assurer de manière continue avec des critères de qualité et de sécurité des modes de transports en commun suffisamment accessibles que pour constituer une véritable alternative à la route.

Le service universel s’inscrit dans la politique générale d’égalité des conditions visant à garantir l’accès de tous, à un prix abordable, même dans les coins les plus reculés d’un territoire, à une série de services jugés relevant de l’intérêt général par les autorités publiques. Le service universel est souvent considéré comme un “noyau dur” minimal de services publics. Affirmer le droit à un service universel en matière de mobilité, c’est inévitablement se référer au noyau dur minimal des obligations de services publics conférées aux entreprises de transport public (SNCB, TEC, De Lijn, STIB). Il nous apparaît indispensable, eu égard aux risques du marché notamment, de garantir l’accès à ces services. Néanmoins, nous pensons qu’il serait moins ambitieux de ne reconnaître dans la Constitution qu’un droit au service universel en matière de mobilité plutôt que de consacrer le droit à la mobilité en ce compris le droit au service universel en matière de transports en commun.

(…) l’État, mais aussi les Régions, et encore les communes engagent leur responsabilité au-delà de ce type d’obligation en devant garantir un partage de l’espace public entre tous les types d’usagers; pour le dire plus concrètement, le droit à la mobilité, au-delà de prendre le train ou le bus à un prix abordable dans des conditions de qualité et de sécurité définies, c’est aussi pouvoir marcher sur des trottoirs suffisamment larges, le droit pour les adeptes du vélo d’avoir accès à des pistes cyclables sécurisées, l’existence et l’entretien d’un réseau routier sécurisé…

Inscrire dans la Constitution le droit à la mobilité notamment via l’accès à un service universel en matière de transports en commun ne donne pas un effet direct en tant que tel à ces droits. Néanmoins, cette référence se traduit par une obligation pour les différentes entités de garantir l’exercice de ces droits.

Les auteurs de la proposition proposent donc que l’article 23, alinéa 3, de la Constitution soit complété par un 7° rédigé comme suit :

7° le droit à une mobilité effective et respectueuse de l’intérêt général notamment via l’accès à un service universel en matière de transports en commun.

3. AVIS

Le CSNPH estime que le droit à la mobilité pour tous est un droit fondamental. Ce droit fait l’objet d’une préoccupation majeure pour le CSNPH. Il renvoie à cet égard à sa note de position « Accessibilité et mobilité », et aux nombreux avis rendus en cette matière (par exemple, l’avis 2021-02 sur l’accessibilité de la SNCB pour les personnes en situation de handicap).

Le CSNPH rappelle que le droit à l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap (PSH) est déjà garanti par le nouvel article 22ter de la Constitution.

Dans les travaux préparatoires relatifs à l’insertion de l’article 22 ter, l’insistance est mise à plusieurs reprises sur le fait que le droit à la pleine inclusion passe à la fois par l’accessibilité universelle et les aménagements raisonnables, quant à eux expressément consacrés. Par exemple, le rapport fait au nom de la Commission de la Constitution et du Renouveau institutionnel mentionne notamment :  

Certes, il est question d’un droit à des aménagements raisonnables, mais cela ne doit pas faire perdre de vue que les autorités publiques sont tenues à une obligation de résultat en matière d’accessibilité telle que garantie par la Convention des Nations unies. La Constitution affirmera dorénavant l’obligation de l’État fédéral ainsi que des entités fédérées à agir, chacune dans le domaine de compétences, en vue de la mise en œuvre de cette nouvelle disposition constitutionnelle. Dans ce cadre, elles seront amenées à prendre des mesures de discrimination positive afin de garantir que le principe d’égalité bénéficie également aux personnes en situation de handicap. (page 5)

Le CSNPH rappelle aussi que telle est du reste la philosophie de la Convention des Nations Unies sur les droits des Personnes handicapées (UNCRPD) à laquelle l’article 22ter offre un ancrage constitutionnel en la synthétisant dans une formule compactée : le droit à la pleine inclusion.

L’article 9 précise que la Belgique, à l’instar de tout autre État qui a ratifié la Convention, doit prendre des mesures adéquates :

pour assurer aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. Ces mesures, parmi lesquelles figurent l’identification et l’élimination des obstacles et barrières à l’accessibilité, s’appliquent, entre autres :

    1. aux bâtiments, à la voirie, aux transports et autres équipements intérieurs ou extérieurs, y compris les écoles, les logements, les installations médicales et les lieux de travail ;
    2. aux services d’information, de communication et autres services, y compris les services électroniques et les services d’urgence.

En ce qui concerne la mobilité, l’article 20 de l’UNCRPD précise ce qui suit :

Les États Parties prennent des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible, y compris en :

    1. Facilitant la mobilité personnelle des personnes handicapées selon les modalités et au moment que celles-ci choisissent, et à un coût abordable;
    2. Facilitant l’accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d’assistance, formes d’aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité, notamment en faisant en sorte que leur coût soit abordable;
    3. Dispensant aux personnes handicapées et aux personnels spécialisés qui travaillent avec elles une formation aux techniques de mobilité;
    4. Encourageant les organismes qui produisent des aides à la mobilité, des appareils et accessoires et des technologies d’assistance à prendre en compte tous les aspects de la mobilité des personnes handicapées.

Il n’est fait aucune allusion dans les développements à l’UNCRPD et son article 9, ni, a fortiori, à l’Observation générale n° 2 du Comité des droits des personnes handicapées du 11 avril 2014 sur l’accessibilité.

Pour rappel, l’Observation générale précise :

1. L’accessibilité est primordiale pour que les personnes handicapées puissent vivre de façon indépendante et participer pleinement à la vie sociale dans des conditions d’égalité. Si elles n’ont pas accès au milieu physique, aux transports, à l’information et aux moyens de communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, les personnes handicapées ne bénéficient pas des mêmes possibilités de participer à leurs sociétés respectives. Ce n’est pas une coïncidence si l’accessibilité est un des principes sur lesquels repose la Convention relative aux droits des personnes handicapées (art. 3 f). Tout au long de son histoire, le mouvement des personnes handicapées a fait valoir que l’accès à l’environnement physique et aux transports publics constituait une condition préalable à l’exercice par les personnes handicapées du droit de circuler librement consacré à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le CSNPH relève par ailleurs en particulier les points suivants : 

§ 7. Faute de moyens de transport accessibles, les personnes handicapées ne peuvent jouir de certains de leurs droits fondamentaux, dont le droit de chercher un emploi ou le droit aux soins de santé́,

§ 29. Il est utile d’incorporer dans la législation des normes relatives à l’accessibilité qui définissent les différents domaines qui doivent être accessibles, par exemple l’environnement physique dans les lois relatives à la construction et à la planification, les transports dans les lois relatives aux transports publics aériens, ferroviaires, routiers et fluviaux et maritimes, et l’information et la communication ainsi que les services offerts au public dans les lois y relatives.

§ 39. Sans moyens de transport accessibles pour se rendre à l’école, de bâtiments scolaires accessibles et de moyens d’information et de communication accessibles, les personnes handicapées n’auraient pas la possibilité́ d’exercer leur droit à l’éducation.

§ 40. Les services de santé et de protection sociale demeureraient hors de portée des personnes handicapées si les locaux où sont fournis ces services n’étaient pas accessibles. Même si les bâtiments dans lesquels les services de santé et de protection sociale sont fournis sont eux-mêmes accessibles, sans moyens de transport accessibles les personnes handicapées ne seront pas en mesure de s’y rendre.

§ 41. Outre un lieu de travail physiquement accessible, les personnes handicapées ont également besoin de moyens de transport accessibles et de services d’aide pour s’y rendre.

Si la modification de l’article 23 en faveur de la reconnaissance du droit à la mobilité aboutissait, le CSNPH estime que cela doit être interprété comme une double remise à l’agenda politique de l’urgence d’avancer dans la mise en œuvre du droit à l’accessibilité, compris dans sa dimension « mobilité », au profit des PSH.

La consécration de ce droit tomberait sous le coup du principe de standstill, reconnu à l’article 23 dans sa version actuelle. Grâce à cette disposition, les juridictions peuvent contrôler si les autorités ne font pas reculer de manière substantielle la garantie des droits fondamentaux par rapport à leur niveau antérieur sans justification suffisante tirée de l’intérêt général (voir notamment : le standstill, ou comment les juges ont permis de mieux protéger les droits fondamentaux en limitant les possibilités de recul, par Isabelle Hachez, Justice en ligne, 12 février 2016). 

Par ailleurs, le CSNPH aurait apprécié que les auteurs de la proposition discutent ou laissent à tout le moins ouverte la question de savoir si le droit à la mobilité et à un service universel pouvait bénéficier d’un effet direct. Une réponse favorable pourrait avoir un effet bénéfique pour les personnes handicapées, en particulier en temps de crise sanitaire mais aussi, par exemple, pour les élèves en situation de handicap dont on sait qu’ils passent parfois des heures entières dans un transport en commun pour se rendre à leur école (or, p. 6, il est indiqué que le service universel doit « au minimum garantir un accès à des moyens de transport en commun permettant l’accès à tout le territoire à un prix abordable »).

Autre question qui gagnerait à être soulevée : le droit à la mobilité et donc à l’accessibilité des transports s’accompagne-t-il bien, dans l’esprit des auteurs de la proposition, d’un droit à des moyens de transport accessibles (dispositifs sécurisés et adaptés) et d’un environnement accessible, sans quoi l’effectivité du droit en discussion deviendrait pure illusion ? Il est question p. 6 d’un environnement accessible, mais sans référence spécifique aux personnes en situation de handicap.

Le CSNPH regrette également qu’il ne soit pas fait référence dans les développements de la proposition à ses nombreux avis en matière d’accessibilité et de mobilité, ainsi qu’aux recommandations d’Unia.

Ce qui importe pour les PSH et leurs organisations, compte tenu des ressources juridiques internationales et constitutionnelles d’ores et déjà existantes, ce n’est pas tant la réaffirmation dans la Constitution d’un droit qui leur est d’ores et déjà reconnu, que l’adoption de politiques publiques de nature à leur donner corps, ce que la crise sanitaire a encore remis en lumière.

Le CSNPH insiste donc sur la nécessité d’un socle constitutionnel univoque qui soit un levier évident et puissant pour une mise en œuvre concrète au niveau des différentes sociétés qui assurent le transport en commun en Belgique. Le CSNPH approuve totalement l’idée selon laquelle la mobilité de chaque citoyen passe par le respect de l’intérêt général (en ce compris environnemental) et (notamment) par l’accès à un service universel en matière de transports en commun. Est-ce bien l’acception visée par les auteurs ?  

Le CSNPH rappelle que tout service universel se révèle un levier puissant pour réduire la précarité quand il est de qualité et répond aux besoins concrets des personnes. Dans certains domaines (énergie, produits financiers, ...), le service universel est vraiment très basique et ne permet pas de vivre dignement et de réaliser des choix de vie de manière équivalente aux autres citoyens. Le CSNPH souhaite que les auteurs de la proposition examinent dans quelle mesure la formulation pourrait intégrer la notion de qualité élevée du service universel.

Pour rappel, un grand nombre de PSH ne disposent pas de véhicule privé et n’ont pas d’autre choix que celui de se déplacer en transports en commun : l’accessibilité financière de ce service universel est donc aussi un aspect déterminant. Ne faut-il pas le préciser dans la proposition ?

Le CSNPH rappelle également les dispositions relatives aux aménagements raisonnables. Il est important à ce propos de souligner que l’UNCRPD précise aussi que le fait de ne pas prévoir des adaptations raisonnables constitue une discrimination. Les adaptations raisonnables sont également nécessaires, même lorsqu’elles ne concernent qu’un petit nombre de PSH. Les adaptations raisonnables ne constituent donc pas un avantage ou une faveur mais un droit pour les PSH ! L’adaptation est avant tout une compensation pour venir réduire les conséquences exclusives d’un environnement inaccessible.

Pour conclure, le CSNPH estime que de véritables actions doivent être engagées, notamment en faveur des personnes en situation de handicap. Actuellement, les transports en commun sont loin d’être accessibles à toute personne en situation de handicap. Il est important que les organismes concernés, comme les sociétés de transport en commun, aient les moyens de rendre les transports accessibles à tous, en tenant compte de tous les types de handicap (physiques, sensoriels et intellectuels). Il faut aussi qu’ils en aient la volonté. L’ajout de cette proposition pourra, en tous les cas, pousser le mouvement de la transformation climato-sociale de nos sociétés.

De plus, le droit à la mobilité ne concerne pas que les transports en commun. Par exemple, les services de taxis adaptés doivent aussi être renforcés et rendus accessibles financièrement.

Le CSNPH est bien conscient que l’Etat fédéral n’est pas le seul impliqué dans la problématique de la mobilité. Les Régions et les autorités locales doivent aussi prendre leur part de responsabilités.

Enfin, le CSNPH rappelle la dimension purement économique de la mise en accessibilité : une personne en situation de handicap qui se déplace est aussi une personne en situation de handicap qui consomme !

Le CSNPH tient à remercier la Professeure Isabelle Hachez pour sa contribution à la rédaction du présent avis.

4. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à Madame Özlem Özen, Présidente de la Commission de la Constitution et du Renouveau institutionnel
  • Pour suite utile à Monsieur Georges Gilkinet, Vice-Premier Ministre et Ministre de la Mobilité
  • Pour suite utile à Madame Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris
  • Pour information à Unia
  • Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD
  • Pour information au Médiateur fédéral