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Avis 2021/38


Avis n° 2021/38 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif au projet TRIA, rendu en séance plénière du 22/11/2021.

Avis rendu d’initiative par le CSNPH.

1. OBJET

Lors de sa réunion plénière du 18 octobre 2021, le CSNPH a entendu Monsieur Johan Moeyaert, Manager de crise, au sujet du développement du projet « TRIA ». TRIA est le futur programme qui sera mis en place afin d’assurer le traitement des demandes d’allocations aux personnes handicapées, des demandes de cartes de stationnement et des demandes de reconnaissance en vue d’obtenir des compensations sociales et fiscales.

2. ANALYSE

I. TRIA : situation actuelle et nécessité d’un reset

Monsieur Moeyaert a rappelé que TRIA poursuit 2 objectifs principaux :

  • Assurer la continuité des services de la DG HAN : reprise des fonctionnalités existantes TETRA pour la gestion des dossiers (projet uniquement de back office) ;
  • Build for change (construit pour le changement) : mise en œuvre plus rapide et plus souple des changements futurs.

Les 6 sous-processus de TRIA sont :

  • Intake (introduction de la demande)
  • Information gathering (récolte des informations)
  • Evaluating handicap (évaluation du handicap)
  • Evaluating eligibility (évaluation des critères d’octroi)
  • Processing decision (gestion des décisions)

Le rapport d’évaluation Deloitte de juillet 2021 signale que sur la base des évolutions actuelles, les objectifs fixés initialement ne seront pas atteints. TRIA a donc besoin d’une remise à zéro (reset). Ceci implique :

  1. Comprendre la situation actuelle et surtout déterminer en accord avec toutes les parties concernées (business et IT) ce qui doit encore être construit
  2. Examiner les actions correctrices et leur potentiel à la lumière de l'arriéré et des autres préoccupations soulevées par Deloitte
  3. Elaborer un nouveau plan complet, réaliste et étayé pour le développement et le déploiement sur la base des connaissances acquises dans les 2 points précédents.

II. Réinitialisation de TRIA

1. Mieux comprendre le "en l’état" (as is) et élaborer le "à faire" (to do).

En l'état :

  • Actuellement, développement du sous-processus "évaluation du handicap" ; ce développement devrait être terminé d'ici la fin du mois de janvier 2022.

A faire :

  • Pour les 5 autres sous-processus, cartographier les activités et les composants informatiques à construire pour ces sous-processus avec toutes les parties impliquées.
  • Sur cette base, commencer à développer les 5 autres sous-processus.

2. Actions correctrices:

Développement en parallèle

Dans l’hypothèse où un seul sous-processus sera prêt fin janvier 2022, avec le déploiement de la quasi-totalité de l’équipe de développement (qui a déjà commencé à travailler dans le courant de l’année 2020), il est déjà clair qu’avec la méthode de travail actuelle, il sera impossible d’assurer la mise en œuvre dans le calendrier prévu. Dès lors, l’équipe de TRIA est en contact avec des partenaires externes pour apporter une capacité et une expertise supplémentaire (respectant l’enveloppe budgétaire 2021).

Critères pour la migration :

  1. Scénario de migration solide (but : 0 risque) : continuité des paiements (correct, complet, sans risques opérationnels)
  2. Eviter un scénario “big bang” ; implémentation graduelle avec option “fallback” (plan B)
  3. Respect de l’échéance globale et des échéances intermédiaires
  4. Eviter au maximum des travaux de programmation intermédiaires TRIA/TETRA
  5. Priorisation par volumes, là où c’est possible (exceptions traitées à la fin dans le planning)
  6. Le business donne le “go” avant chaque mise en production, sur base des « UAT end to end » ( tests de validation par l’utilisateur de bout en bout)
  7. Transparence du scénario de migration pour les utilisateurs (et éviter de la charge de travail supplémentaire)

Rapportage

  • Augmenter la transparence auprès du Comité de Pilotage en expliquant les bases de TRIA et en rédigeant un rapport clair sur l'état et l'avancement du projet.
  • Rapporter l’avancement du programme sur base d’un template (modèle) standard

3. Ce qui est déjà lancé et ce qui doit faire l’objet d'une analyse plus approfondie

  • Une coopération plus forte entre l'équipe TRIA et l'équipe ICT TETRA existante au SPF pour permettre une compréhension plus rapide de ce qui doit être construit, et comment (et pourquoi) les fonctionnalités sont actuellement supportées dans TETRA.
  • Le champ d'application a été précisé :
    • Etablissement d’une liste exhaustive de fonctionnalités, basée au moins sur la reproduction des fonctionnalités TETRA existantes dans TRIA. Dans un nombre limité de cas, des fonctionnalités supplémentaires sont déjà fournies avec une valeur ajoutée pour les utilisateurs, mais dans la plupart des cas, elles ne seront fournies qu'après le déploiement de TRIA, étant donné les défis de calendrier.
    • Précision de la notion de « build for change » (construit pour le changement) dans la pratique au sein de TRIA :
      • Mise en place du workflow (représentation d'une suite de tâches ou d'opérations effectuées par une personne, un groupe de personnes, un organisme, …) dans la structure du CMMN (« Modèle de gestion de cas et notation » ) : crée de la flexibilité pour d'éventuelles adaptations du processus
      • Décomposer le logiciel sous-jacent en petits blocs qui peuvent être adaptés indépendamment les uns des autres ("structure modulaire", crée une flexibilité pour d'éventuelles modifications législatives)
  • Examiner si et comment l'efficacité de l'ensemble de l'équipe TRIA peut être renforcée et/ou optimisée.
  • Examiner des solutions alternatives pragmatiques (par ex. réutiliser des composants IT d’autres programmes, simplification des processus, …)
  • Mettre en place des trajectoires de développement parallèles (c'est-à-dire ne pas réaliser les six sous-processus de manière séquentielle) et faire appel à une aide extérieure si nécessaire. Si l'on considère qu'un sous-processus sur les six devrait en principe être prêt fin janvier 2022 avec le déploiement de la quasi-totalité de l'équipe de développement (qui a déjà commencé à travailler dans le courant de l'année 2020), il est déjà clair qu'avec la méthode de travail actuelle, il sera impossible d'assurer la mise en œuvre dans le calendrier prévu. 

4. Un nouveau plan

Etant donné que toutes les composantes à construire doivent encore être identifiées, un plan suffisamment étayé ne peut encore être présenté aujourd’hui. Un nouveau plan bottom up (plan ascendant) sera fourni lors du prochain Comité de Pilotage ( prévu pour décembre 2021).

III. Décisions et étapes suivantes

  1. Validation des éléments suivants :
    • le lancement des voies de développement parallèles
    • le format proposé pour augmenter la transparence du rapportage
    • les critères de base pour l’établissement du meilleur scénario de déploiement et de migration
  1. Étapes pour le prochain Comité de Pilotage : plan bottom up et proposition de scénario de migration
  1. Deux séances de “update intermédiaire” (mise à jour intermédiaire) entre le Comité de Pilotage d’octobre 2021 et décembre 2021

3. AVIS

A. Considérations générales

Tout d’abord, le CSNPH émet plusieurs remarques préalables importantes :

  1. Par rapport au projet initial, l’ambition d’arriver à un outil complet a été diminuée. Le projet s’éloigne de la vision et des objectifs présentés au CSNPH, au Conseil des Ministre et à Madame la Ministre Lalieux. On peut actuellement observer que Tria est devenu un programme presqu’entièrement de back office et que les volets présentés dans la note au Conseil des Ministres du 14 octobre 2021 ne sont pas développés. Le CSNPH n’identifie pas la plus-value de TRIA sur l’usager final (personne en situation de handicap et acteurs professionnels divers), pourtant présentée comme enjeu majeur au Conseil des Ministres. Le CSNPH en est extrêmement déçu.
  1. Les demandes exprimées par le CSNPH sont incontournables dans le cadre de TRIA. Ce qui ne pourrait pas être repris dans la phase de basculement initiale, doit absolument pouvoir être intégré dans les plus brefs délais, via ExcelHan ou par toute autre voie. Les processus de développement de TRIA devront dès le départ présenter la flexibilité nécessaire pour absorber à minima les enjeux ci-après énoncés.
  1. TRIA doit permettre d’intégrer l’approche multidisciplinaire de l’appréciation de la perte de capacité de gain et d’autonomie des personnes en situation de handicap (PSH). Le module de développement médical sera finalisé en janvier 2022.
    Le CSNPH a participé à un workshop le 16/02/2021 sur l’évaluation médicale et y a exprimé de nombreuses attentes quant à la manière et à la portée de l’évaluation. Il n’a jamais eu aucun retour sur la manière dont ses attentes ont été intégrées. Il n’a pas non plus reçu de présentation du module informatique qui en a été tiré et finalement retenu. Le CSNPH a par ailleurs appris lors d’une réunion intermédiaire le 19 octobre 2021 que ce module n’intégrera pas l’approche multidisciplinaire. Le CSNPH considère cette situation intolérable. Il demande fermement que l’approche multidisciplinaire soit intégrée à terme dans le module et souhaite obtenir des informations très claires à ce sujet.
  1. Il a fallu deux ans pour se rendre compte des problèmes. Pendant cette période, les contacts avec le CSNPH et les partenaires extérieurs ont été trop peu nombreux et trop formels : il n’y a eu aucun échange réel ni construction de priorités au départ des attentes du CSNPH. Ceci ne doit plus se produire dans l’avenir.
  1. TRIA apparaît comme un outil de gestion opérationnelle sans lien avec les acteurs extérieurs pourtant déterminants : personnes en situation de handicap mais aussi associations, mutuelles, CPAS, … C’est très inquiétant. Se pose fondamentalement la question de l’adéquation de TRIA par rapport aux enjeux sociaux du régime des allocations : facilité d’accès aux droits pour tous, lutte contre le non take up et la pauvreté, etc.
  1. Les périodes de testing sont réduites et une partie du projet sera sous-traitée. La réduction des périodes de testing et la sous-traitance garantissent-elles encore la qualité du produit ?
  1. L’application TRIA ne permettra pas d’intégrer une réforme substantielle éventuelle de la loi du 27 février 1987 car les modules ont dû privilégier la vitesse de développement sur la souplesse et la flexibilité. Quel est l’avantage d’un module dont le développement sur le long terme ne permettra pas de réforme majeure de la loi ? Il est clair que la loi ne répond plus aux besoins et que des réformes sont inévitables (années de référence des revenus, révision statuts, révision système d’évaluation …). Madame la Ministre Lalieux en a fait une priorité pour la législature (voir Plan fédéral Handicap). Est-ce que cette promesse est déjà tuée dans l’œuf pour des raisons informatiques ?
  1. Le CSNPH constate que tout est remis à zéro, sauf le module « évaluation du handicap ». L’enveloppe budgétaire prévue pour cette année devrait être suffisante. Mais qu’en est-il des prochaines années ?
  1. Sur la manière de développer les modules et la manière d’intégrer les attentes des groupes de travail et Workshops auxquels il participe quand il est invité, le CSNPH reste perplexe : il ne comprend pas la manière dont les attentes sont intégrées. Une telle manière de travailler jette le doute sur la portée d’un processus présenté comme participatif et constructif.
  1. Le CSNPH rappelle que par le passé, lors du passage d’un système à l’autre (digitalisation), des reconnaissances et des documents ont été « perdus ». Des personnes reconnues pour bénéficier des mesures sociales et fiscales, mais non bénéficiaires d’allocations n’étaient plus connues du nouveau système et donc ne pouvaient plus obtenir d’attestations pour faire valoir leurs droits. Ceci ne peut plus se produire.
  1. Le CSNPH remarque que depuis des années, le remplacement de TETRA pose des problèmes. Le lancement de Curam a été catastrophique et le programme a vite été abandonné. Le CSNPH se demande s’il en est de même dans d’autres administrations responsables notamment du calcul des allocations de chômage, des pensions de retraite, …

B. Gestion administrative et médicale des dossiers 

a) Traitement équivalent entre citoyens

La loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées est fédérale : à paramètres administratifs et médicaux semblables, une personne en situation de handicap (PSH) devrait être traitée de manière équivalente à une autre, quel que soit son domicile et/ou le gestionnaire et le médecin qui examinent sa situation. Ce n’est pas le cas actuellement : la gestion des rappels de demandes d’informations complémentaires au demandeur, les critères de rejet, les critères d’évaluation du handicap, l’intégration d’une modification de la loi, l’application des motifs de révision, … ne sont pas appliqués de la même manière entre équipes et au sein des équipes. TRIA devrait prévoir des processus qui guident et forcent les gestionnaires du dossier à procéder de manière conforme aux prescrits réglementaires.

b) Paiement des allocations

Le paiement des allocations sera, à plus ou moins brève échéance, assuré par le Service des Pensions. Dans un grand nombre de situations, les PSH cumulent pension de retraite ou de survie et allocations aux personnes handicapées. Il est absolument nécessaire que le paiement de l’allocation, qui conditionne l’ouverture de certains droits dérivés, puisse toujours être distingué de celui de la pension.

c) Application rétroactive:

Il est absolument nécessaire que TRIA puisse identifier des dossiers qui tombent sous l’application d’une disposition réglementaire nouvelle qui s’applique avec un effet rétroactif. Récemment en effet, la rétroactivité prévue dans les nouvelles mesures (le « prix de l’amour » et l’abaissement de l’âge pour demander les allocations) a posé problème. La PSH qui rentre dans les conditions d’application de cette rétroactivité devrait bénéficier automatiquement de l’application de la réglementation, sans qu’elle ne doive se manifester.

d) De façon générale :

L’ensemble des processus doit aider à surmonter le défi du non take-up et faciliter l’automatisation. Les processus doivent aussi permettre le plus possible aux PSH d’introduire leurs demandes en autonomie.

C. Communication et accès au dossier :

  • Les fonctionnalités actuelles de My Handicap ne permettent pas de connaître avec un degré d’information et de fiabilité suffisant l’état d’avancement du dossier. Des fonctionnalités nouvelles à terme doivent donc être prévues dans TRIA.
  • Dans My Handicap, l’historique des dossiers est souvent incomplet : il faut que les PSH aient accès à toutes les décisions et que chaque décision soit accessible ; les personnes doivent pouvoir imprimer directement une copie des décisions, depuis chez elle ou via un acteur autorisé (association, mutuelle…). Un historique des dossiers doit donc être prévu dans TRIA.
  • Dans My Handicap, le traçage des documents demandés, reçus ou en attente et la situation de gestion du dossier ne sont pas intégrés. Il faut plus de précision concernant un dossier en attente : pourquoi est-il en attente ? Est-il en attente d’un document médical ? Est-il en attente d’un flux d’un organisme de sécurité sociale, du SPF Finances ou d’un autre organisme ? Est-il en attente d’un autre document ? Un délai supplémentaire est-il attribué pour remettre le document ? Ce que l’on retrouve actuellement dans TETRA ne permet pas d’avoir une idée de l’évolution du dossier. TRIA doit permettre de remédier à ce problème.
  • Il est nécessaire d’intégrer une information plus explicite concernant les arriérés ou concernant les décisions faisant l’objet d’un recours ainsi que le suivi des décisions prises suite à un jugement : le montant ainsi que la période sont généralement repris dans le relevé des paiements, mais sans préciser qu’il s’agit d’arriérés et non du montant de l’allocation.
  • Il faut rendre visible les échanges entre la DG HAN d’une part, et la PSH et les autres acteurs d’autre part (formulaires de contact, appels téléphoniques, permanences sociales…) : un historique des courriers envoyés aux PSH par la DG HAN est fondamental.
  • La gestion des plaintes doit aussi apparaître : certaines plaintes sont actuellement considérées comme des demandes d’informations.

Tout ceci est essentiel pour :

    • Soutenir l’anticipation d’une situation et la proactivité du gestionnaire dans la gestion des dossiers ;
    • Réduire le nombre d’appels des PSH et des autres acteurs ;
    • Tirer des statistiques sur les attentes des PSH, des partenaires, …
    • Assurer la qualité des processus et des décisions.

D. TRIA comme accompagnement de la vision politique

  • TRIA doit permettre d’augmenter le croisement des données : par exemple, actuellement, il est impossible de savoir combien de visites sociales ont lieu par an dans les centres.
  • Le CSNPH rappelle aussi la nécessité absolue de développer un module de statistiques de TRIA le plus tôt possible : les récentes études sur le non take up mettent en évidence que toujours plus de personnes s’éloignent des radars de la sécurité sociale et de l’aide sociale. La crise sanitaire a encore renforcé cet état de fait. Il est aussi nécessaire que TRIA puisse contribuer à renverser cette tendance. Sur le plan de la prospective en général, personne ne contestera l’idée d’avoir des statistiques fines et régulières pour la DG HAN. Les statistiques de la DG HAN (ainsi que les statistiques d’autres organismes) doivent pouvoir contribuer au développement d’une politique en faveur des PSH, qui tiendra compte de leurs réels besoins.
  • Il doit également être tenu compte des compétences des entités fédérées.

E. Intégration d’une réforme complète de la loi de 1987 

  • TRIA doit être construit pour le changement (build for change). TRIA doit être aussi capable, à terme, d’intégrer une réglementation plus adaptée à l’inclusion des PSH. Cela peut être une façon différente de prendre en compte les revenus, une autre définition des catégories sociales, etc.

Le CSNPH demande à recevoir, le plus tôt possible et de manière structurée et continue, au fur et à mesure du développement des 6 modules TRIA, une information claire sur les priorités fixées par le management de la DG HAN. Ces priorités doivent être présentées au CSNPH de manière telle que ce dernier soit en mesure d’apprécier quels seront les paramètres de gestion des dossiers, les actions automatiques, les actions qui nécessiteront une intervention humaine, etc.

Le CSNPH demande aussi que le management de TRIA assure une forme de validation des modules par les partenaires importants qui sont fortement impliqués dans la gestion des dossiers et amenés à accompagner les PSH : associations de PSH, mutuelles, etc.

4. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à Monsieur Peter Samyn, Président du SPF Sécurité sociale ;
  • Pour suite utile à Monsieur Yves De Smedt, Directeur général f.f. de la Direction générale Personnes handicapées (DG HAN)
  • Pour suite utile à Madame Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris
  • Pour information à Unia
  • Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD
  • Pour information au Médiateur fédéral