aller au contenu

Avis 2022/25

Avis n° 2022/25 du Conseil Supérieur National des Personnes handicapées (CSNPH) sur l’avant-projet de loi relatif aux exigences en matière d’accessibilité pour des services de transports, transposant la directive européenne 2019/882 du 17 avril 2019, rendu en séance plénière du 19/09/2022.

Avis rendu à la demande de monsieur Georges Gilkinet, Vice-Premier ministre et Ministre de la Mobilité, dans sa lettre du 06/09/2022.

1. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à monsieur Georges Gilkinet, Vice-Premier ministre et Ministre de la Mobilité
  • Pour suite utile à madame Sophie Dutordoir, CEO de la SNCB
  • Pour information à monsieur Benoît Gilson, CEO d’Infrabel
  • Pour information à madame Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris
  • Pour information à Unia
  • Pour information au Mécanisme de coordination de l’UNCRPD
  • Pour information au Médiateur fédéral

2. OBJET

Le Ministre de la Mobilité demande l’avis du CSNPH sur l’avant-projet de loi relatif aux exigences en matière d’accessibilité pour des services de transports, transposant la directive européenne 2019/882 du 17 avril 2019 et les annexes de l’avant-projet.

Étant donné le dépassement du délai de transposition de la directive (28/06/2022), M. le Ministre demande au Conseil d’émettre un avis dans un délai de 30 jours après réception de la demande d’avis.

3. ANALYSE

La demande du Ministre Gilkinet les services de transports au niveau fédéral.

D’autres parties de la directive seront mises en œuvre par les niveaux de pouvoir compétents.

Le présent avis reprend un certain nombre de passages de l’avant-projet de loi, parfois accompagnés de commentaires.

TITRE I – DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Chapitre 2. Champ d’application

Art. 3. §1. Sans préjudice de l’article 33, la présente loi s’applique aux éléments ci-après de services de transport aérien, ferroviaire, par voie de navigation et par autobus de voyageurs et de passagers, à l’exception des services de transport urbains, suburbains et régionaux :

1° sites internet;

2° services intégrés sur appareils mobiles, y compris les applications mobiles;

3° billets électroniques et services de billetterie électronique;

4° fourniture d’informations sur les services de transport, notamment d’informations en temps réel sur le voyage; en ce qui concerne les écrans d’information, ne sont concernés que les écrans interactifs situés sur le territoire belge;

5° terminaux en libre-service interactifs situés sur le territoire belge, à l’exception de ceux installés en tant que parties intégrantes de véhicules, d’aéronefs, de navires et de matériel roulant utilisés pour fournir tout élément de ces services de transport de voyageurs et de passagers.

Dans la pratique, ces dispositions concernent surtout le trafic ferroviaire, qui relève encore de la compétence fédérale. Elles concernent alors les produits et les services de la SNCB et d’Infrabel. Les Communautés et Régions doivent également mettre en œuvre la directive dans leurs domaines de compétence.

TITRE II – OBLIGATIONS DES PRESTATAIRES DE SERVICES

Chapitre 1er. Principes généraux

Art. 6. Les prestataires de services établissent les informations nécessaires conformément à l’annexe 2, et expliquent comment les services satisfont aux exigences applicables en matière d’accessibilité.

En tant que représentant des personnes en situation de handicap, le CSNPH demande explicitement à être impliqué dans ce processus.

Art. 9. §1. Les exigences en matière d’accessibilité visées à l’article 5 s’appliquent uniquement dans la mesure où la conformité :

1° n’exige pas de modification significative d’un service qui entraîne une modification fondamentale de la nature de celui-ci; et

2° n’entraîne pas l’imposition d’une charge disproportionnée aux prestataires de service concernés.

Cet article, accompagné de l’Annexe 3 (Critères d’évaluation du caractère disproportionné de la charge), présente un risque. Le prestataire de services concerné peut utiliser cet article pour éviter d’appliquer les exigences en matière d’accessibilité. Cela dépendra en grande partie de l’efficacité du service de contrôle, tel que décrit aux Titres III et V.

TITRE III – AUTORITÉ COMPÉTENTE

Art. 14. Le Roi désigne pour chaque mode de transport, l’autorité chargée du traitement des plaintes et de l’infliction des sanctions administratives pour des infractions à la présente loi et ses arrêtés d’exécution.

TITRE IV – PLAINTES

Chapitre 1er. Procédure

Art. 15. §1. Chaque personne handicapée peut introduire sans frais une plainte auprès de l’autorité compétente. La plainte est introduite par lettre ou par voie électronique.

§2. Si l’autorité compétente considère la plainte recevable, elle le notifie par écrit au plaignant dans un délai de trente jours à dater de la réception de la plainte et elle en informe simultanément le prestataire de service qui fait l’objet de la plainte.

§5. Une plainte relative à un transport ou un service qui y est associé, qui ne relève pas de la compétence de l’autorité compétente, est renvoyée au service compétent de l’autorité régionale ou étrangère dans un délai de trente jours à compter de la réception de la plainte. (…)

Le plaignant en est averti par écrit dans un délai de trente jours suivant l’envoi à l’organisme mentionné dans l’alinéa 1er.

Art. 16. Lorsque la plainte est recevable, l’autorité compétente ordonne le service de contrôle de réunir toutes les informations nécessaires à la recherche et au constat de l’infraction supposée. Le service de contrôle établit un rapport conformément à l’article 21.

Le délai de traitement de la plainte par l’autorité compétente est de six mois à partir de la réception de la plainte. Le rapport ainsi que le dossier administratif sont immédiatement transmis à l’autorité compétente. (…)

Chapitre 2. Représentation lors du dépôt d’une plainte   

Art. 18. §1. La personne handicapée a le droit de mandater un organe, une organisation ou une association à but non lucratif, pour qu’il introduise une réclamation en son nom.

TITRE V – CONTRÔLE

Chapitre 1. Service de contrôle

Art. 19. Le Roi désigne le service de contrôle. Le service de contrôle :

1° vérifie la conformité des services avec les exigences de la présente loi, y compris l’évaluation visée à l’article 9, §2;

2° assure le suivi de services dans le cas de non-conformité avec les exigences énoncées dans la présente loi; et

3° le cas échéant, vérifie que le prestataire de services a pris les mesures correctives nécessaires.

Chapitre 2. Personnel

Art. 20. §1. Le Roi désigne les membres du personnel composant le service de contrôle qui sont chargés notamment de rechercher et constater les infractions à la présente loi et ses arrêtés d’exécution.

Le CSNPH demande d’accorder l’attention nécessaire à l’expertise technique et juridique des membres du personnel chargés de rechercher et constater les infractions à la présente loi et ses arrêtés d’exécution.

Il peut également y avoir une différence essentielle entre les règles d’accessibilité et l’accessibilité réelle. Un produit ou un service peut être conforme aux règles d’accessibilité et néanmoins se révéler inaccessible. Par conséquent, l’accessibilité doit être évaluée tout au long du processus, de la conception à la mise en service.

Le Titre VI traite des sanctions administratives, comme les amendes. Le CSNPH se demande si des amendes administratives seront un outil efficace. En effet, les amendes ne font pas disparaître le problème d’accessibilité. Une sanction doit être accompagnée de l’obligation de remédier au problème d’accessibilité. En outre, l’avant-projet ne parle pas d’indemniser la personne victime de la non-conformité.

Le Titre VIII reprend les dispositions transitoires.

Art. 33. §1. Jusqu’au 28 juin 2030, les prestataires de services ont la possibilité de continuer à fournir leurs services en utilisant des produits qu’ils utilisaient légalement pour fournir des services similaires avant cette date.

Cet article ouvre la porte aux abus.

L’avant-projet de loi est accompagné d’annexes.

ANNEXES A L’AVANT-PROJET DE LOI SUR LES EXIGENCES EN MATIERE D’ACCESSIBILITE POUR DES SERVICES DE TRANSPORTS

ANNEXE 1 : EXIGENCES EN MATIÈRE D’ACCESSIBILITÉ AUX SERVICES DE TRANSPORTS DANS LE SENS DE LA PRÉSENTE LOI

Section I. Exigences générales en matière d’accessibilité

i) en mettant à disposition les informations au moyen de plusieurs canaux sensoriels;

Zintuiglijk kanaal/canal sensoriel : ce terme n’est pas clair et semble inadéquat. Les informations doivent être proposées tant sous forme visuelle, auditive que tactile de même que par le biais de canaux numériques. Les différentes formes de lecture doivent être accessibles (p. ex. informations visuelles : texte grand et contrasté ; informations auditives : sans (ou du moins avec un minimum de) bruit de fond ou ambiant dérangeant).

ii) en présentant les informations de façon compréhensible;

Il faut préciser : «en les présentant de manière compréhensible pour tous, notamment en fournissant un langage simple (FALC)».

iii) en présentant les informations aux utilisateurs de manière à ce qu’ils les perçoivent;

à clarifier, car la perceptibilité ne garantit pas la compréhensibilité. Par exemple : si la personne doit prendre un petit numéro à l’accueil pour avoir accès au guichet (pas adapté aux personnes aveugles, sauf s’il est également écrit en braille) et que l’appel est fait par un signal sonore non vocal (par exemple un bip) et que le numéro est affiché, une personne aveugle entend le signal, mais ne sait pas si c’est son tour ou non. Il faut tenir compte du groupe d’utilisateurs le plus vaste possible : pas seulement les personnes aveugles ou malvoyantes, mais aussi les personnes sourdes et malentendantes et les personnes souffrant d’une double déficience (p. ex. sourdes et aveugles). Voici la raison pour laquelle les informations doivent être proposées dans le plus de formes différentes possible (voir également ci-dessus sous i)).

ANNEXE 3 : CRITÈRES D’ÉVALUATION DU CARACTÈRE DISPROPORTIONNÉ DE LA CHARGE

Le 2e critère pour l’évaluation et les preuves à apporter à l’appui de cette évaluation est le suivant :

  1. Estimation des coûts et des avantages pour les opérateurs économiques, y compris en ce qui concerne les processus de production et les investissements, par rapport à l’avantage estimé pour les personnes handicapées, compte tenu de la quantité et de la fréquence d’utilisation d’un produit ou d’un service spécifique.

Le CSNPH souligne une possible erreur de jugement ici. Certains services ne sont pas souvent ou peu utilisés par les personnes en situation de handicap en raison de leur inaccessibilité. Si la non-utilisation signifie que des aménagements raisonnables n’ont pas lieu, le service reste inaccessible et son utilisation par des personnes en situation de handicap (PSH) reste faible. Des aménagements raisonnables se traduisent généralement par une plus grande utilisation par les PSH.

4. AVIS

  • Le CSNPH demande une clarification de l’Art. 3. §1. «Sans préjudice de l’article 33, la présente loi s’applique aux éléments ci-après de services de transport aérien, ferroviaire, par voie de navigation et par autobus de voyageurs et de passagers, à l’exception des services de transport urbains, suburbains et régionaux». La SNCB poursuit le développement des réseaux dits suburbains (S - GEN/RER). Le CSNPH part du principe que ces derniers relèvent également du champ d’application de l’avant-projet de loi et donc pas de l’exception de services de transports suburbains.
  • Le CSNPH demande de tenir compte des remarques et des recommandations citées ci-dessus (3. ANALYSE).
  • Le CSNPH appelle à une application ambitieuse des règles d’accessibilité pour les produits et services. Le CSNPH fait explicitement référence à l’article 22ter de la Constitution («Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables») et à la loi anti-discrimination du 10 mai 2010 qui stipule que le refus de mettre en place des aménagements raisonnables implique une discrimination. La notion de « charge disproportionnée » doit être définie de manière concrète et restrictive dans la loi, de sorte que le prestataire de services ne puisse pas s’en servir comme excuse.
  • Le CSNPH fait remarquer qu’une partie considérable de la population voit sa mobilité réduite, temporairement ou non. À terme, le surcoût des aménagements raisonnables est compensé par une clientèle croissante, un accès plus facile et un besoin d’assistance réduit.
  • Le CSNPH plaide pour un organe de contrôle qui serait réellement indépendant et qui se composerait de représentants du secteur des personnes en situation de handicap. Au niveau fédéral, il s’agit du CSNPH. L’organe à créer doit recevoir les moyens nécessaires pour mener à bien sa mission. Il doit également assurer un suivi après le contrôle. À cette fin, il convient de mettre en place des critères clairs et concrets. Les autorités doivent veiller à ce que les dernières exigences en matière d’accessibilité soient respectées, en particulier à partir de 2030. 
  • L’Art. 6. stipule : «Les prestataires de services établissent les informations nécessaires conformément à l’annexe 2, et expliquent comment les services satisfont aux exigences applicables en matière d’accessibilité.» En tant que représentant des personnes en situation de handicap, le CSNPH demande explicitement à être impliqué dans ce processus.
  • Le CSNPH ne veut pas que les prestataires de services — comme la SNCB ou Infrabel — utilisent l’article 33 pour conclure des contrats de service public ou de performance ne devant pas être conformes à la nouvelle loi. Les nouveaux contrats doivent respecter la nouvelle loi, surtout s’ils prennent effet après le 28 juin 2030. L’organe de contrôle à créer doit surveiller ceci.
  • Le CSNPH renvoie également à ses remarques et recommandations sur le nouveau contrat de service public de la SNCB et le nouveau contrat de performance d’Infrabel dans l’avis 2021-18 et l’avis 2022-24.
  • En particulier, le CSNPH réitère la nécessité de désigner un Disability Manager chez Infrabel. Ce dernier peut alors se concerter directement avec son équivalent à la SNCB.
  • Suivant la répartition des compétences en Belgique, la SNCB et Infrabel relèvent de la compétence fédérale. Pour une bonne intermodalité — combinaison fluide de plusieurs moyens de transport, comme le train et le bus —, les régions doivent donc également mettre en œuvre les exigences en matière d’accessibilité pour les services de transports. Le CSNPH demande que les différents niveaux de pouvoir se concertent régulièrement pour garantir une certaine uniformité dans la mise en œuvre de ces exigences.
  • En outre, la SNCB fait souvent appel à des bus, y compris d’autres entreprises publiques et privées, par exemple lors de travaux sur les voies ou d’autres problèmes de prestation de services. Ces services de bus doivent également être conformes à la directive européenne. L’accessibilité doit être garantie.
  • Combien de temps dure la procédure totale pour la personne en situation de handicap déposant une plainte ? Quand reçoit-elle une réponse définitive ? Le CSNPH lit-il correctement l’avant-projet de loi s’il comprend que la personne doit attendre jusqu’à 6 mois (après réception par le service de contrôle) avant de recevoir une réponse définitive ? Le CSNPH estime que ce délai est très long, surtout pour une PSH qui dépend des transports en commun. Lorsque la plainte ne relève pas de la compétence de l’instance compétente, la plainte est transférée et peut même prendre 30 jours supplémentaires. Le CSNPH souhaiterait une procédure rapide où la personne déposant la plainte est tenue informée de l’évolution de son dossier.
  • Le CSNPH souhaite savoir si la PSH peut également se faire représenter par une personne de confiance lors du dépôt d’une plainte — en dehors d’un organe, d’une organisation ou d’une association à but non lucratif et d’un éventuel administrateur.
  • Faute d’orthographe dans la version néerlandaise : « Art. 22. e) (…) zoals bedoeld in bijlage 1, afdeling I; »
  • Pour l’élaboration d’analyses et de solutions techniques tenant compte des PSH, le CSNPH demande que les structures techniques en matière d’accessibilité (CAWaB, Inter) soient consultées.