Avis 2025/26
Le secrétariat du CSNPH est actuellement en sous-effectif important.
Le 9 mai dernier, le Comité de direction du Service public fédéral Sécurité sociale a décidé que les collaborateurs qui ne travaillaient plus pour le secrétariat ne seraient pas remplacés.
Cela met le CSNPH en grande difficulté dans la réalisation des missions liées à sa fonction consultative. Très concrètement, les délais réglementaires prévus pour la remise de ses avis devront être allongés.
Avis n° 2025/26 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) sur la note « Nouvelle politique pour l’emploi de personnes en situation d’handicap dans l’administration fédérale » de la ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, chargée des Entreprises publiques, de la Fonction publique, de la Gestion immobilière de l’État, du Numérique et de la Politique scientifique.
Rendu en séance plénière du 15 septembre 2025.
Avis rendu à la demande de la cellule stratégique de la ministre, datée du 23 juillet 2025.
1. AVIS DESTINÉ
- Pour suite utile à madame Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, chargée des Entreprises publiques, de la Fonction publique, de la Gestion immobilière de l’État, du Numérique et de la Politique scientifique
- Pour suite utile à monsieur Bernard Quintin, ministre de la Sécurité et de l’Intérieur
- Pour information à monsieur Rob Beenders, ministre des Personnes handicapées et de l’Égalité des chances
- Pour information à monsieur Frank Vandenbroucke, Vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargé de la Lutte contre la pauvreté
- Pour information à monsieur Bart De Wever, Premier ministre
- Pour information à la CIPH (Commission pour l’inclusion des personnes en situation de handicap)
- Pour information à Unia
- Pour information au Médiateur fédéral
- Pour information au Mécanisme de coordination de l’UNCRPD
2. OBJET
Le présent avis concerne la note « Nouvelle politique pour l’emploi de personnes en situation d’handicap dans l’administration fédérale » de la ministre de la Fonction publique. Dans sa note, le ministre déclare vouloir :
- élargir l’accès à la fonction publique ;
- systématiser les aménagements raisonnables ;
- renforcer le suivi et étendre la définition aux maladies chroniques ;
- encourager une meilleure collaboration avec les entreprises de travail adapté ;
- prévoir des mécanismes de sanction pour les services fédéraux qui restent structurellement défaillants.
3. ANALYSE
A. Cadre et obligations internationales
- Dans sa note, la ministre mentionne à juste titre que la UNCRPD (art. 27) impose à la Belgique de garantir le droit au travail des personnes handicapées, notamment par l’accès à un emploi dans la fonction publique et les aménagements raisonnables.
- Le Comité des Nations unies pour les droits des personnes handicapées a déjà critiqué à plusieurs reprises la Belgique pour le respect insuffisant des quotas et l’absence de mécanismes contraignants :
« Le Comité constate avec préoccupation :
Que les taux d’emploi des personnes handicapées sont faibles et restent inférieurs à la moyenne européenne, et qu’il n’y a eu aucun progrès perceptible vers un marché du travail inclusif, étant donné que la majorité des personnes handicapées employées travaillent dans des ateliers protégés ».
« Rappelant son observation générale no 8 (2022), le Comité recommande à l’État partie de s’employer, en étroite consultation avec les personnes handicapées et avec leur participation active, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent :
-
- À élaborer et à mettre en œuvre une stratégie et un plan d’action applicables aux niveaux fédéral et régional, afin d’aider les personnes handicapées, notamment les femmes handicapées, à passer du chômage ou de l’emploi dans des ateliers protégés à un emploi inclusif sur le marché du travail ouvert ;
- À promouvoir les possibilités d’emploi et à renforcer les programmes visant à accroître le taux d’emploi des personnes handicapées, notamment les femmes handicapées, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, et à améliorer les dispositifs d’aide visant à rechercher, obtenir, conserver ou retrouver un emploi ;
- À adopter des mécanismes juridiques efficaces pour faire appliquer la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, y compris le refus de procéder à des aménagements raisonnables, et pour en contrôler l’application, y compris à l’aide de mécanismes de plainte ».
- L’EDF souligne que les quotas seuls ne suffisent pas : obligations contraignantes, suivi dans le temps, sensibilisation, sanctions et mesures positives sont nécessaires pour une inclusion durable.
- L’Union européenne et le Conseil européen mettent l’accent sur l’augmentation de la participation au travail des personnes en situation de handicap et demandent aux États membres de réaliser des progrès mesurables.
- La Belgique affiche un retard considérable : à peine 1,36 % dans les services publics fédéraux par rapport au quota de 3 % exigé, qui est déjà loin derrière celui des pays voisins (p. ex. en France : 6 % légalement, 5,93 % dans les faits).
B. Éléments positifs
- La note reconnaît que la Belgique doit s’atteler d’urgence à rattraper son retard avant de pouvoir parler d’inclusion totale.
- Les aménagements raisonnables sont reconnus comme un droit constitutionnel (art. 22ter) et inscrits dans la politique. La création d’un centre fédéral d’expertise et une « boîte à outils de l’inclusion » sont de bonnes mesures.
- La note accorde de l’attention aux entreprises de travail adapté et aux clauses sociales dans les marchés publics : cette approche rejoint la politique de l’UE en matière de « rendement social ».
- La note plaide pour la mise en place de procédures de sélection réservées aux personnes en situation de handicap.
- Le plan met l’accent sur la collaboration avec Unia, la CIPH et les organisations de la société civile, ce qui est en accord avec l’obligation de dialogue avec les personnes concernées prévue par la UNCRPD. Le CSNPH insiste pour être associé aux discussions sur toute mesure ayant un impact sur les personnes en situation de handicap.
C. Lacunes et risques
- Voir aussi l’avis 2025-24.
- L’arrêté royal du 6 octobre 2005 (qui trouve son origine dans l’AR du 11 août 1972) portant l’inclusion des personnes handicapées et des aménagements raisonnables lors de sélections et l’arrêté royal du 5 mars 2007 organisant le recrutement de personnes handicapées dans certains services publics fédéraux disposaient déjà ceci : « Chaque service public (fédéral) est tenu de mettre au travail des personnes handicapées à hauteur de minimum trois pour cent de son effectif. » Si le quota requis n’était pas atteint, des sanctions pouvaient être appliquées, sous forme de refus d’embauche.
- Les mécanismes de sanction proposés aujourd’hui, plus de dix ans après les premières intentions exprimées, semblent donc beaucoup trop peu contraignants : la formulation reste que le ou la ministre « pourra » intervenir. La sécurité juridique s’en trouve compromise.
- En matière de monitoring, il est essentiel d’améliorer l’enregistrement, mais il subsiste un risque que les personnes concernées ne demandent pas à être reconnues par crainte de stigmatisation ou de discrimination, malgré la campagne menée. Il est nécessaire de mettre en place des politiques qui inspirent davantage confiance. Trop peu d’attention est accordée à la sensibilisation des collègues et des responsables hiérarchiques afin de briser les préjugés.
- Le recours à des entreprises de travail adapté ne peut être un substitut à l’emploi direct dans l’administration publique. Les chiffres actuels (0,02 % par la sous-traitance) démontrent la faiblesse de ce canal.
- Les aspects de formation et d’évolution de carrière sont trop peu développés. Le CSNPH est conscient qu’il ne s’agit pas d’une compétence exclusive de la ministre de la Fonction publique, mais il souhaite rappeler que l’ensemble du gouvernement fédéral est tenu par le plan d’action Handicap d’intégrer la dimension du handicap (« handistreaming ») dans sa politique. L’inclusion ne se limite pas au recrutement : la rétention et les opportunités d’évolution sont tout aussi essentielles. Sans un accompagnement assuré par des coachs à l’emploi et des mentors sur le lieu de travail, l’inclusion reste théorique.
- Aucun plan interfédéral n’est prévu. Alors que l’emploi, la formation et les prestations sociales sont très fragmentés, la CRPD exige une coordination cohérente des politiques.
- En 2025, nous parlons de « personnes en situation de handicap », en abrégé PSH.
- Depuis 2005, l’atteinte du quota de 3 % est constamment repoussée. Ce quota devait être atteint pour 2007, puis 2012, puis 2020, et maintenant 2028. Le CSNPH n’est donc pas satisfait du tout de ce nouveau report et se demande quand des mesures concrètes seront prises, accompagnées de sanctions concrètes.
- Le CSNPH reste par ailleurs quelque peu sur sa faim en ce qui concerne la recherche et les études. Mesurer, c’est savoir. Pourquoi est-il si difficile de recruter des personnes en situation de handicap ? Les offres d’emploi sont-elles suffisamment accessibles pour les personnes en situation de handicap ? Le management est-il suffisamment convaincu de l’intérêt de la diversité dans son service ? Et qu’en est-il des collègues ?
- La plupart des chercheurs d’emploi présentant un handicap à l’emploi ont un faible niveau d’instruction et ne peuvent prétendre qu’à des fonctions de niveau C et D dans l’administration publique. Or, celle-ci recrute principalement aux niveaux A et B. À cela s’ajoute le fait que la moitié des emplois dans la fonction publique doivent être exercés à Bruxelles. Il s’agit d’un obstacle majeur pour un groupe considérable de chercheurs d’emploi en situation de handicap qui ont des difficultés à se déplacer. Il n’est pas toujours possible de résoudre leur problème de mobilité, même en mettant en place des aménagements raisonnables. L’administration publique passe ainsi à côté de nombreux candidats potentiels issus de ce groupe défavorisé, etc.
- Historiquement, de nombreux bâtiments fédéraux ne sont pas pleinement accessibles. Sans budget d’investissement, la mise en œuvre des travaux d’accessibilité peut être ralentie.
- Les maladies chroniques vont souvent de pair avec des performances fluctuantes et des périodes d’incapacité plus longues ou fréquentes. La note reste vague quant à la manière de soutenir structurellement le travail flexible et le suivi de carrière dans ce cas.
4. AVIS
Le CSNPH salue tout particulièrement la philosophie de la ministre, selon laquelle c’est le système qui doit s’adapter à l’individu et non l’inverse.
Le CSNPH se réjouit également de l’ambition de la ministre de faire de l’inclusion un élément central de la politique du personnel, mais estime que les mesures proposées ne vont pas suffisamment loin pour combler le retard structurel.
Sans un relèvement du quota, des sanctions contraignantes, un plan d’action interfédéral et un changement culturel, la Belgique risque à nouveau de ne pas pouvoir respecter ses obligations internationales et les attentes de l’UNCRPD, ainsi que l’objectif fédéral visant à atteindre un taux d’emploi de 80 % d’ici 2029.
Le CSNPH insiste pour que ce processus soit développé en collaboration avec les personnes en situation de handicap, afin que l’administration fédérale puisse enfin donner l’exemple comme elle est tenue de le faire.
Le CSNPH formule les recommandations suivantes :
- Relever le quota : Si les malades chroniques sont inclus dans le calcul, le quota doit être porté au moins à 8 %, conformément aux avis du Comité de l’ONU (avis 2025-24).
- Rendre les sanctions effectives et contraignantes : Les administrations structurellement défaillantes doivent se voir automatiquement imposer de mener des procédures de sélection et, si aucune amélioration ne se dégage, de verser des contributions budgétaires à un fonds, selon le modèle français. Ces fonds sont alors utilisés pour soutenir des actions positives, des campagnes de sensibilisation, des services de prêt de dispositifs d’aide tels que des écrans adaptés, des services de réadaptation professionnelle, des coachs à l’emploi sur le lieu de travail, etc.
- Garantir une inclusion durable : Outre le recrutement, il faut prévoir également des mesures pour la rétention, l’évolution et la promotion des fonctionnaires en situation de handicap (formation, mentorat, évolution de carrière).
- Investir dans le changement de culture : des campagnes de sensibilisation, des formations pour les ressources humaines et les dirigeants et des critères d’évaluation qui intègrent l’inclusion en tant que priorité du management de l’administration.
- Établir un plan interfédéral : harmoniser la politique fédérale avec celle des régions (Forem, Actiris, VDAB), la sécurité sociale (réforme de la loi du 27/02/1987) et l’économie sociale.
- Rendre le monitoring transparent : publier chaque année les chiffres par administration, y compris les mesures prises, et associer la CIPH, le CSNPH et Unia à l’évaluation.
- Chaque canal et chaque mesure doit être examiné plus strictement sur le plan de son efficacité. Par exemple, il existe une CCT spécifique, à savoir la CCT n° 38 conclue le 6 décembre 1983 au sein du Conseil national du Travail, qui stipule que l’employeur qui recrute ne peut traiter les candidats de manière discriminatoire, notamment sur la base d’un handicap. Il s’est toutefois avéré que l’inspection sociale éprouve de grandes difficultés à contrôler cet aspect, car la vérification du respect de la réglementation du travail se limite généralement à la relation employeur-employé une fois celle-ci établie, et ne s’étend pas à la phase précontractuelle de recrutement et de sélection. À notre connaissance, cette CCT n’a jamais donné lieu à des sanctions. Pourtant, Unia a déjà traité plusieurs dossiers à ce sujet.
- Impliquer structurellement des experts du vécu handicap : « rien sur nous sans nous » –Le Comité des Nations unies exige la participation systématique des personnes en situation de handicap dans l’élaboration des politiques.
- Rechercher davantage les causes pour lesquelles les quotas ne sont pas atteints. Est-il question de discrimination par association ou de discrimination intersectionnelle ? Le manque de structures (adaptées) d’accueil d’enfants empêche-t-il l’accès à l’emploi ? Y a-t-il un problème lié au manque d’accessibilité des transports en commun ? Le télétravail ou les bureaux satellites peuvent-ils être une solution ? Le travail peut-il s’articuler autour des moments consacrés aux soins de la personne en situation de handicap ? Quel nouveau statut faut-il mettre en place dans le congé d’aidant proche afin de garantir également à ces personnes le droit au travail ? Est-il possible de mettre en place un système de parrainage (buddy) au travail ? Les employeurs sont-ils suffisamment informés et sensibilisés ? Les offres d’emploi sont-elles accessibles ? Les sélections sont-elles accessibles ?
Une collaboration, par exemple avec le chef de corps de l’Inspection des Finances, pour avoir une vue d’ensemble sur la consultation effective des réserves de recrutement est déjà un pas dans la bonne direction. - Installer, dans chaque service public fédéral, un point de contact handicap, en contact étroit avec le référent handicap au sein du Cabinet.
- Renforcer le rôle des organisations qui défendent les intérêts des personnes en situation de handicap, comme Unia, le CSNPH, la plate-forme des conseils consultatifs et la CIPH. Elles sont en contact étroit avec les personnes en situation de handicap et suivent ces questions de près.
- Réduire, en collaboration avec le CSNPH et la plate-forme des conseils consultatifs, les pièges à l’emploi dans le cadre de la réforme de la loi du 27 février 1987 (Allocations).
- Si le nombre de lauréats en situation de handicap de sélections dans l’administration publique est insuffisant : organiser des formations et des sessions de recyclage. Dans ce contexte, une collaboration étroite avec l’enseignement, les agences pour l’emploi et les conseils du travail est essentielle.
- Il est impératif de renforcer la coopération au moyen des conférences interministérielles, car le handicap touche à toutes les compétences.