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Avis 2020/06

Avis n° 2020/06 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à :

  • la proposition de révision de la Constitution en vue de l’insertion d’un article 11ter, par Monsieur Bert Anciaux et consorts (doc. Sénat, n° 7-13/1) ;
  • la proposition de révision de la Constitution visant à insérer au titre II de la Constitution un article 22ter garantissant aux personnes en situation de handicap le droit à une pleine inclusion dans la société et de bénéficier des mesures visant à leur assurer l'autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle, par Monsieur Philippe Courard et consorts (doc. Sénat, n  7-116/1) ;
  • la proposition de révision de la Constitution visant à insérer, au titre II de la Constitution, un article 22ter garantissant le droit des personnes handicapées de bénéficier de mesures appropriées qui leur assurent l'autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle, par Madame Sabine de Bethune et consorts (doc. Sénat, n° 7-121/1).

Avis rendu le 20/03/2020 après consultation des membres du CSNPH par courrier électronique du 17/03/2020 en raison de l’urgence.

Avis rendu d’initiative par le CSNPH.

1. OBJET

Trois propositions de révision de la Constitution ont été déposées au Sénat. Toutes demandent l’introduction d’un article à la Constitution de manière à renforcer la protection des droits et libertés des personnes handicapées.

2. ANALYSE

La proposition 7-13/1 dispose « Art. 11ter. Chaque personne handicapée a le droit de bénéficier, en fonction de la nature et de la gravité de son handicap, d’aménagements raisonnables qui lui assurent l’autonomie et une intégration culturelle, professionnelle et sociale. »

La proposition 7-116 dispose « Art. 22ter. Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société et de bénéficier des mesures qui lui assurent l’autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle. »

La proposition 7-121 dispose « Article 22ter. Toute personne handicapée a le droit de bénéficier des mesures appropriées qui lui assurent l’autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle. La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit. »

3. AVIS

Le 9 mars 2020, Madame Gisèle Marlière, Présidente du CSNPH et Monsieur Pierre Gyselinck, Président du Belgian Disability Forum (BDF), ont été invités par le Sénat à s’exprimer sur les textes déposés.

Les propositions actuelles sont en cours de discussion. C’est donc dans la phase de réflexion que le CSNPH et le BDF ont été invités à s’exprimer, ce qui est une manière de procéder tout à fait constructive.

Le CSNPH a souhaité par ailleurs rendre un avis d’initiative car l’enjeu est immense pour les personnes handicapées et leur familles. Pour mémoire, le CSNPH avait déjà rendu en 2013 (avis 2013-06) et en 2015 (avis 2015-15) des avis totalement positifs sur l’ajout d’un article 22ter. Le CSNPH espère que ces nouvelles initiatives aboutiront cette fois-ci très prochainement.

Sur la nécessité d’un ancrage constitutionnel :

L’UNCRPD (Convention relative aux droits des personnes handicapées) a été ratifiée par la Belgique il y a 10 ans. Dans les faits, elle manque d’application. Dans la vie quotidienne des personnes handicapées, l’accès aux transports, l’accès à l’emploi, l’accès aux infrastructures publiques, … n’est pas du tout garanti ! La presse de ces dernières années relaye moultes situations où la SNCB, les sociétés de transport, les écoles, les employeurs, les propriétaires, etc. refusent de transporter, former, engager ou loger des personnes handicapées au prétexte de leur handicap. Les refus sont devenus plus subtils et les motifs avancés invoquent à présent le manque d’infrastructure, de dispositif, de moyens budgétaires, de temps… pour assurer la prise en charge ou l’accompagnement de la personne. Sans compter le nombre d’interdictions de voter ou de se marier au seul motif du handicap. 

Actuellement, être handicapé, par la naissance, la maladie ou l’accident, est forcément TOUJOURS pour la personne synonyme d’une réduction de la jouissance et de l’exercice de ses droits les plus élémentaires : choisir l’endroit où elle habitera, choisir son parcours de formation, choisir un lieu de villégiature, etc. sont RAREMENT de véritables choix mais souvent des seconds choix : les personnes se résignent et s’adaptent le mieux qu'elles peuvent. Et lorsque l’adaptation n’est même plus possible, lorsqu’une nouvelle énergie doit être continuellement redéployée, l’usure s’installe et laisse la place à l’isolement et au repli sur soi. De la personne handicapée mais aussi souvent de la famille tout entière.

Par ailleurs, un autre aspect qui augmente dramatiquement l’exclusion des personnes handicapées est la pauvreté dont elles sont souvent victimes (voir recueil handicap-pauvreté notamment) : pas de formation porteuse, pas d’emploi, des allocations de 20% sous le seuil de pauvreté… Dans ces conditions, les perspectives d’émancipation sont très limitées et l’exercice des droits civils, culturels et politiques sont pour de nombreuses personnes des concepts vides de sens quand la priorité est tout simplement de se loger et de se nourrir (même se soigner ne peut plus être une priorité pour de nombreuses personnes handicapées). Le non take up dans le domaine du handicap est énorme par rapport à l’ensemble de la population.

Le secteur du handicap est DEMANDEUR ABSOLU d’un ancrage constitutionnel. Dans le cadre juridique belge , il manque une portée spécifique du droit de la personne handicapée. Le CSNPH demande un texte qui préciserait clairement que « chacun a droit à …..Toute personne handicapée a le droit de bénéficier de… ». Ce serait un socle déclaratif essentiel ; une protection catégorielle est une nécessité.

La Belgique a ratifié l’UNCRPD sur les droits des personnes handicapées le 2 juillet 2009. C’était un premier pas nécessaire mais non suffisant ; il faut à présent réactualiser la cohérence de cet acte résolument engagé. Il faut un soutien de la Constitution en ce sens, comme ce fut le cas à l’époque pour les femmes et les enfants. Les personnes handicapées sont des personnes qui d’entrée de jeu et tout au long de leur vie n’auront jamais les mêmes chances que les autres personnes.

Par ailleurs, les mécanismes de suivi, de promotion et d’accompagnement institués par l’UNCRPD (art 33) existant en Belgique peinent à remplir efficacement leurs missions ; un ancrage constitutionnel les renforcerait dans leurs actions.

La Belgique ne développe actuellement ni stratégie, ni planification en faveur de l’émancipation et de l’inclusion des personnes handicapées. À nouveau ici, un socle constitutionnel est indispensable.

Le CSNPH souhaite un texte constitutionnel qui génère à son tour des modifications législatives concrètes, qui puisse libérer des budgets et, par le biais des aménagements raisonnables et des actions positives, soutenir à changer le regard et les approches.

Un article 22ter viendrait renforcer l’ancrage des droits constitutionnels à l’endroit de de la personne handicapée.

Malheureusement, les droits consacrés par la Constitution n’ont en général pas d’effet direct, c’est-à-dire qu’ils ne confèrent pas de droit subjectif à leurs destinataires qui pourrait être directement invoqué en justice devant les cours et tribunaux judiciaires. Par exemple, une personne sans-abri ne pourrait pas sur la base de la consécration du droit au logement aller devant le juge en lui demandant de lui fournir un toit. Compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs, c’est au législateur d’intervenir en premier lui pour investir la marge de manœuvre que lui laisse le pouvoir constituant et donner corps à ce droit en identifiant la manière dont il souhaite le faire : construire des logements sociaux, réquisitionner les propriétés inoccupés, baisser les loyers, fournir une allocation-logement, ... L’ancrage constitutionnel d’une nouvelle disposition ne serait donc pas une garantie absolue de son efficacité et de sa justiciabilité. L’article 23 de la Constitution réserve d’ailleurs expressément au législateur la mission de garantir les droits consacrés. Au nom du principe de la séparation des pouvoirs, il reviendrait ensuite au législateur, non au juge, de décider de la manière d’investir la marge d’appréciation conférée par le pouvoir constituant.

Pour en finir sur cet aspect, le CSNPH avait déjà rendu en 2013 et 2015 des avis positifs sur l’ajout d’un article 22 ter. (avis 2013-06 et avis 2015-15).

Sur le contenu de la proposition :

Dans toutes les propositions sur la table, l’UNCRPD est implicitement référencée. Ce qui signifie donc que les concepts véhiculés par l’UNCRPD sont d’application :

  • La définition du handicap : l’état de santé et l’approche de l’environnement sont les deux composantes à articuler. Cette définition a d’ailleurs été reprise par la Cour de Justice des Communautés européennes pour préciser le sens de la notion de personne handicapée dans la directive 2000/78.
  • L’UNCRPD n’exige par ailleurs pas un degré de gravité de handicap. La proposition 7-13/1 réintroduit, probablement involontairement, une approche médicale du handicap ; cf. « en fonction de la nature et de la gravité de son handicap » et est donc plus restrictif que le libellé UNCRPD et de la directive 2000/78.
  • Le handicap peut être visible ou non visible. Il n’y a pas de hiérarchie à instaurer. Ce serait d’ailleurs contraire à l’UNCRPD !
  • L’UNCRPD a aussi résolument opté pour la dimension universaliste de l’inclusion : il n’existe pas de groupe de personnes avec ou sans handicap ; toutes les personnes présentent des besoins communs et individuels. L’égalité et la différence trouvent leur place, la diversité est la norme. Pour ce motif, le terme « intégration » repris dans les propositions 7-13 et 7-121 ne sont pas conformes à l’UNCRPD et doit être remplacé par « inclusion ».
  • Les aménagements raisonnables et les actions positives : Les aménagements raisonnables et les actions positives sont indispensables dans l’attente d’un environnement par nature inclusif, où tout bien et service seraient pensés et conçus de manière universelle et où tout domaine d’activité serait véritablement inclusif. Certaines réglementations se veulent inclusives des besoins des personnes handicapées mais en même temps ne se donnent pas les moyens de leurs ambitions. Le concept d’aménagement raisonnable se retrouve d’ailleurs aussi dans la directive 2000/78 et ses lois de transposition ainsi que dans diverses législations spécifiques – ce que d’ailleurs souligne aussi la proposition 7-116/1 dans ses développements. En même temps, le CSNPH attire l’attention sur le fait que la reconnaissance des seuls aménagements raisonnables n’éclipse pas l’obligation plus générale d’accessibilité garantie par l’UNCRPD. Dans une certaine mesure, les aménagements raisonnables et les actions positives peuvent signaler l’absence d’une société réellement inclusive. En tout cas, les aménagements raisonnables et les actions positives doivent toujours être pensés en lien/complément avec l’obligation finale d’accessibilité et d’inclusion.

Avec l’UNCRPD, l’approche devient résolument et irrévocablement sociale et inclusive : l’UNCRPD n’est pas limitative. Ni la gravité, ni l’origine, ni le caractère visible ne sont des conditions à l’ouverture de la reconnaissance d’une protection. Il n’est pas question de créer des curseurs ; d’ailleurs par qui et comment serait-il fixés ? L’important est de répondre aux besoins des personnes et d’agir sur l’environnement pour répondre aux besoins du plus grand nombre. Il s’agit de mettre à la disposition de la personne handicapée les moyens pour se former, se soigner, participer au marché du travail, se déplacer… Seules des actions sur l’environnement peuvent y conduire : l’approche des employeurs, des architectes, constructeurs, personnels médicaux, exploitants des services... doit changer.

Ce que le CSNPH attend de ce texte :

  • Qu’il édicte le principe selon lequel les personnes handicapées ont droit à leur dignité, en ce compris une sécurité d’existence et des ressources qui permettent de vivre décemment (ce qu’aucune des propositions ne prévoit), et selon lequel elles ont leur place dans la société ;
  • Qu’il soutienne les autorités publiques à garantir tous les droits constitutionnels et le principe de l’inclusion ;
  • Faire en sorte que tous les citoyens tiennent davantage compte des droits des personnes handicapées.

Le texte de la Constitution belge doit être à la fois :

  • simple,
  • complet : rencontrer la mise en œuvre de tous les droits constitutionnels,
  • et très fort : pas d’interprétation possible ; véritable socle à des politiques et actions concrètes.

4. AVIS TRANSMIS

  • Pour suite utile au Président du Sénat ;
  • Pour information à Madame Nathalie Muylle, Ministre chargée des Personnes handicapées ;
  • Pour information à Madame Sophie Wilmès, Première Ministre ;
  • Pour information à Unia ;
  • Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD.