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Avis 2025/24

 

Le secrétariat du CSNPH est actuellement en sous-effectif important.

Le 9 mai dernier, le Comité de direction du Service public fédéral Sécurité sociale a décidé que les collaborateurs qui ne travaillaient plus pour le secrétariat ne seraient pas remplacés.

Cela met le CSNPH en grande difficulté dans la réalisation des missions liées à sa fonction consultative. Très concrètement, les délais réglementaires prévus pour la remise de ses avis devront être allongés.

 

Avis n° 2025/24 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif au projet d’arrêté royal qui modifie l’arrêté royal du 6 octobre 2005 portant l'inclusion des personnes handicapées et des aménagements raisonnables lors de sélections.

Rendu le 14/08/2025 après consultation des membres du CSNPH par courrier électronique du 06/08/2025 en raison de l’urgence demandée par Madame Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, chargée des Entreprises publiques, de la Fonction publique, de la Gestion immobilière de l’État, du Numérique et de la Politique scientifique.

Avis rendu à la demande de Madame Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, chargée des Entreprises publiques, de la Fonction publique, de la Gestion immobilière de l’État, du Numérique et de la Politique scientifique par le mail du 3 juillet 2025.

 

1. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à Madame Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, chargée des Entreprises publiques, de la Fonction publique, de la Gestion immobilière de l’État, du Numérique et de la Politique scientifique
  • Pour suite utile à Monsieur Bernard Quintin, ministre de la Sécurité et de l’Intérieur
  • Pour information à Monsieur Rob Beenders, ministre de la Protection des consommateurs, de la Lutte contre la Fraude sociale, des Personnes handicapées et de l’Égalité des chances
  • Pour information à Monsieur Frank Vandenbroucke, vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargé de la Lutte contre la pauvreté
  • Pour information à Monsieur Bart De Wever, Premier ministre
  • Pour information à la CIPH (Commission pour l’Inclusion des Personnes en situation de Handicap)
  • Pour information à Unia
  • Pour information au mécanisme de coordination de l’UNCRPD
  • Pour information au médiateur fédéral
 

2. OBJET

Le projet d’arrêté royal annonce l’objectif de renforcer les mécanismes d’obligation, de suivi et de responsabilisation quant à l’emploi des personnes en situation de handicap au sein de l’administration fédérale.

 

3. ANALYSE

  1. Le projet intègre, dans la définition et le champ d’application de l’arrêté, les personnes atteintes d’une maladie chronique : il s’agit des personnes reconnues par l’INAMI dans le « statut d’affection chronique ». Ces personnes auront désormais le droit de demander des aménagements raisonnables, lors de sélections dans la fonction publique fédérale.
  2. Le projet modifie également le monitoring des personnes en situation de handicap au sein de l’effectif fédéral :
    1. Les personnes ayant le « statut d’affection chronique » seront maintenant prises en compte pour le calcul des 3 %.
    2. Les personnes en situation de handicap qui suivent une formation professionnelle régionale auprès d’un service fédéral ne doivent plus être nécessairement engagées sur la base d’un contrat de travail pour être comptabilisées. La convention d’occupation entre le service fédéral et l’organisme régional suffira pour relever du quota.
    3. La notion d’effectif pris en compte pour calculer le pourcentage renverra désormais au nombre de membres du personnel repris dans l’inventaire des plans de personnel des services fédéraux et non plus au nombre d'équivalents temps plein figurant dans cet inventaire.
  3. Le projet fixe désormais un objectif cible de 3 % dans chaque administration fédérale, mais aussi dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. La réglementation actuelle dispense les administrations qui ont atteint le quota de maintenir leur politique d’inclusion. Cet article met l’accent sur l’effort collectif attendu de la part de tous les services fédéraux pour garantir l’inclusivité au sein de la fonction publique administrative fédérale.
  4. Le projet introduit un système de sanctions progressives lorsqu’un service fédéral n’atteint pas son obligation d’emploi de personnes handicapées (3% de son effectif) :
    1. Si un service fédéral n’atteint pas l’objectif susmentionné pendant deux années consécutives, un plan d’action détaillant les mesures qui seront mises en œuvre afin de respecter son obligation d’emploi de personnes handicapées à hauteur de 3 % de son effectif sera pris. Ce plan doit être communiqué à la Commission pour l’Inclusion des Personnes en situation de Handicap.
    2. S’il est constaté que le plan n’a pas été suivi un an après son élaboration, le ministre chargé de la Fonction publique peut imposer au service fédéral concerné d’organiser des sélections réservées aux personnes en situation de handicap. C’est-à-dire, soit l’organisation d’un trajet d’accueil, soit une sélection contractuelle répondant à la condition fixée à l’article 2, alinéa 4, de l’arrêté royal du 25 avril 2005 fixant les conditions d'engagement par contrat de travail dans certains services publics.
    3. Dans le cas où, après ces deux étapes, le service fédéral n’atteint toujours pas l’objectif de 3 % d’emploi des personnes en situation de handicap, le ministre qui a la Fonction publique dans ses attributions peut décider de bloquer une partie des recrutements statutaires ou les engagements contractuels au sein de ce service et obliger d’affecter les crédits qui devaient y être consacrés à des projets de mise à l’emploi des personnes en situation de handicap. Les efforts consentis par le service et également les différents paramètres relatifs au contexte du service fédéral (sa taille, le type de fonction, …) sont pris en compte dans la décision ministérielle.
  5. La version française du projet remplace les termes « personnes handicapées » par les termes « personne en situation de handicap ».
  6. Le projet retire du champ d’application matérielle de l’arrêté la police fédérale dans toutes ses composantes, car la police fédérale ne relève pas des domaines relevant du ministre de la Fonction publique (modification erronément introduite lors de la réforme de 2012).

Le CSNPH a pris connaissance de l’avis de l’inspectrice des Finances et souligne la pertinence de ses considérations.

 

4. AVIS

Le CSNPH rend un avis très réservé, voire négatif : il estime que les réformes envisagées passent à côté de l’objectif annoncé de renforcer l’emploi de personnes en situation de handicap dans la fonction publique fédérale.

A. Une obligation de recruter très relative

L’obligation d’atteindre l’objectif des 3 % devient individuelle à chaque administration et collective à l’ensemble de la fonction publique fédérale. Si des sanctions sont annoncées, le CSNPH constate qu’elles ne sont jamais automatiques et restent contextuelles et à l’appréciation du ministre de la fonction publique (le ministre « peut »).

Le terme « sanctions » est aussi questionnable, car il s’agit de tout au plus de respecter un plan d’action ou d’organiser des sélections ciblées. Pour le CSNPH, il s’agit plutôt de conséquences logiques liées à des carences de l’État en sa qualité d’employeur. Le CSNPH souligne aussi les restrictions budgétaires du personnel, qui se concrétisent effectivement par des non-remplacements : comme le souligne l’Inspection des Finances, quelle sera l’efficacité du « blocage » des recrutements de la ministre dans un tel contexte ?

Le CSNPH constate que les mesures de ces dernières années n’ont effectivement pas amélioré le taux d’emploi ; que du contraire (voir rapports de la CARPH et de la CIPH – le dernier rapport 2024 de la CIPH rappelle un chiffre d’emploi de 1,36 % de personnes en situation de handicap) !

Le CSNPH a toujours privilégié une approche incitative à une politique de sanctions ; c’est aussi l’option retenue par la ministre. Cela étant, lorsque la responsabilisation ne porte aucun résultat sur une période raisonnable de plusieurs années (voir rapports successifs de la CARPH et de la CIPH), on peut sérieusement se poser des questions sur la réalité de l’engagement. Lorsque des sanctions sont inefficaces ou inappliquées, alors l’engagement restera toujours théorique. Sans sanction, les efforts restent souvent superficiels. Sans soutien concret, certains services peuvent être dépassés par la réforme. Par contre, un cadre transparent de suivi, des obligations et des échéances fermes associées à des conséquences mesurables vont créer une pression positive constructive.

⇒ Le CSNPH considère qu’améliorer l’emploi des personnes en situation de handicap dans la fonction publique fédérale nécessite des mesures concrètes, structurelles et durables à plusieurs niveaux : recrutement, accessibilité, culture d’inclusion, accompagnement et suivi.
⇒ Le CSNPH plaide pour un « budget inclusion » sur le long terme: les crédits dédicacés à des projets sont toujours limités dans le temps et ne permettent pas l’emploi durable.
⇒ Adapter les textes réglementaires n’est pas la solution si la réforme ne se situe pas dans un contexte plus global de transformation du système et des mentalités. Le CSNPH rappelle qu’il est important de mettre à plat tous les enjeux avec les personnes en situation de handicap elles-mêmes : le CSNPH applaudit la volonté de changement de la ministre et l’encourage à mener une concertation avec les associations de terrain et le CSNPH pour identifier tous les enjeux et s’accorder sur des actions concrètes.
⇒ Le CSNPH demande que chaque administration fédérale reprenne, au plus haut niveau de ses valeurs et de ses priorités, l’inclusion et l’emploi des personnes en situation de handicap. Le top-management doit imposer cette vision au service RH qui, à son tour, mettra en œuvre une politique de recrutement ciblée active, de formation continue adaptée, de postes de travail adaptés et de coaching adéquat. L'évaluation du haut management d’une administration doit aussi porter sur les actions concrètes liées à l’inclusion des travailleurs en situation de handicap. 

    • À ce propos, le CSNPH souhaite savoir dans quelle mesure et comment la « Note 3 % du Collège des présidents des SPF » (assortie de 10 actions) a été appliquée.

⇒ Globalement, le CSNPH demande une politique mêlant incitants, accompagnement et sanctions graduelles en lieu et place d’une logique uniquement punitive ou purement encourageante.
⇒ Le CSNPH insiste également sur la nécessité d’une approche planifiée et aussi interfédérale (travailler aussi sur l’aspect formation notamment).
⇒ En 2023 - 2024, le CSNPH a mené avec les partenaires sociaux, les agences régionales pour l’emploi et des acteurs de l’économie sociale une réflexion pour une participation effective des personnes en situation de handicap sur le marché du travail. Il en est ressorti 5 enjeux qui ont toute leur place dans une approche globale : 

    • urgence d’un point d’information transversal pour employeurs et travailleurs (contrats, aménagements raisonnables …) ;
    • urgence de la réforme de la loi du 27 février 1987 sur les allocations pour personnes en situation de handicap (rend la mise à l’emploi compliquée et pénalise les rechutes) ;
    • une volonté d’inclusion traduite en plans d’actions positives obligatoires ;
    • un statut pour l’aidant proche assorti de droits sociaux et fiscaux ;
    • une sensibilisation structurelle par rapport à un droit effectif à l’emploi.

B. Un élargissement de la reconnaissance du handicap, mais pas un élargissement du quota d’emploi

Le CSNPH souligne que le quota légal de 3 % correspondrait à l’emploi de 1.712 ETP. 858 est le nombre de personnes en situation de handicap enregistrées et reprises dans le quota. Il manquait donc, en 2024, 854 ETP.

Les personnes ayant le « statut d’affection chronique » seront désormais prises en compte pour le calcul des 3 %. Comme le souligne l’inspecteur des Finances, aucune analyse chiffrée concernant la part de la population concernée ne figure au dossier ; le CSNPH évalue cette part entre 500.000 et 700.000 personnes entre 18 et 67 ans [1].
Le CSNPH ne conteste bien évidemment pas cet élargissement de la définition à ces personnes : elle est d’ailleurs en totale conformité avec la Convention sur les droits de personnes handicapées (art. 1). Par contre, il s’inquiète des conséquences de cet élargissement par rapport à l’objectif d’emploi - pour les personnes en situation de handicap au sens strict. Tout laisse à penser que le manque de 854 ETP sera ainsi très vite compensé et le quota très vite atteint. Procéder de cette manière est un non-sens, car de nombreuses personnes en situation de maladie chronique ont déjà la possibilité de s’inscrire dans un trajet « back to work ». Le quota des 3 % n’était pas destiné à absorber des personnes autrement accompagnées dans l’emploi, mais bien de rapprocher de l’emploi des personnes en situation de handicap, qui en sont traditionnellement éloignées et qui ne peuvent pas ou peu compter sur un accompagnement par ailleurs.

Le CSNPH demande que les publics soumis au régime du back to work ne soient pas comptabilisés dans les 3 %.
Si cela ne peut pas être le cas, le CSNPH demande à relever le quota à minima de 8 % [2] pour absorber la modification réglementaire.

C. Un monitoring assoupli pour faciliter l’atteinte du quota – pas du tout acceptable !

Le CSNPH déplore les adaptations proposées, à savoir :

  1. prendre en considération les conventions de stage (par définition temporaires),
  2. considérer tout type de contrat sans les traduire en équivalents temps plein.

La prise en compte des personnes sous « statut d’affection chronique » questionne aussi (voir point b).
Le CSNPH estime que ces modifications vont permettre d’atteindre plus facilement le quota, mais pas d’augmenter l’emploi.

Le CSNPH considère l’argument validiste quant à la nécessité d’évaluer les 3 % en ETP hors propos à ce niveau : fixer un quota de personnes en situation de handicap dans l’emploi et ramener ce quota en ETP n’est pas une approche validiste en soi. Il s’agit au contraire d’une tentative de corriger les effets du validisme structurel dans le monde du travail actuel. La politique des 3 % pourrait être validiste (ou en tout cas en frôler la logique) si le quota était vu comme une obligation purement administrative, sans réelle volonté d’inclusion : « cocher une case » ou éviter des sanctions. La politique pourrait être validiste si on considère que la personne est « là grâce à son handicap », pas grâce à ses compétences. Cela alimente des stéréotypes, du type : « on l’a embauchée par pitié ou obligation ».

Le CSNPH ne cautionne donc aucune de ces modifications.

D. Un champ d’application qui s’est réduit – un mauvais signal

Enfin, le CSNPH déplore que la police fédérale ait été retirée du champ d’application de l’arrêté royal : au-delà du statut de ce corps par rapport à la fonction publique, l’inclusion des personnes en situation de handicap dans ses cadres est un réel défi. Le CSNPH rejoint la préoccupation de l’inspection des Finances de dégager une solution dans le sens du quota dans la police fédérale.

⇒ Le CSNPH pose la question des mesures qui seront prises par le ministre de l’Intérieur pour promouvoir l’inclusion des personnes en situation de handicap.
⇒ Le CSNPH demande que l’État fédéral, au travers de tous ses départements, donne l’exemple d’un employeur véritablement engagé en faveur de l’inclusion de tous les candidats travailleurs et en particulier des personnes en situation de handicap traditionnellement éloignées de l’emploi.
⇒ Le CSNPH rappelle l’objectif de ce gouvernement de mettre 80 % des personnes en âge de travailler au travail : le CSNPH demande aussi que l’État fédéral prévoie dans chaque contrat de gestion qui le lie à une entreprise privée d’utilité publique (et qu’il soutient financièrement) de prévoir une clause obligatoire d’emploi des personnes en situation de handicap.

Le CSNPH rappelle aussi que la sous-traitance vers les ETA est aussi prise en compte dans le calcul des 3 %. Actuellement, la part de la sous-traitance est très faible (0,02 % - Rapport_CIPH_2024 page 15) : à la fois, un grand nombre d’ETA n’ont pas accès aux marchés publics des SPF (budget trop lourd par rapport aux possibilités des ETA) et en même temps en 2024, à peine 20 organisations fédérales avaient passé un marché. Ne faut-il pas à tout le moins aussi examiner cet aspect dans le cadre plus global de la réforme des 3 % ?

[1] Le CSNPH n’a pas retrouvé de statistiques officielles. Le raisonnement a été le suivant :
La Belgique compte environ 11,8 millions d’habitants.

Environ 60 % ont entre 18 et 67 ans.
→ Cela donne environ 7,1 millions de personnes.

Environ 25 % des adultes belges sont atteints d’au moins une affection chronique https://www.mloz.be/sites/default/files/etude_maladies_chroniques_2020.pdf
→ 25 % de 7,1 millions ≈ 1,78 million de personnes entre 18 et 67 ans atteintes d’une affection chronique.

Ce statut INAMI n'est pas attribué automatiquement à toutes les personnes souffrant d'une maladie chronique. Il faut répondre à certains critères liés aux soins reçus ou à la consommation médicale (consultations, hospitalisations, médicaments remboursés, etc.).

30 à 40 % des malades chroniques reçoivent effectivement ce statut spécifique.

Donc,
30 % de 1,78 million ≈ 534.000 personnes
40 % de 1,78 million ≈ 712.000 personnes

[2] Application du pourcentage de malades chroniques reconnus, soit 30 à 40 % de 25 %