Avis 2014/06
Actes infirmiers
Avis n° 2014/06 sur le projet de protocole d’accord concernant la relation entre les professionnels travaillant dans le secteur de l’aide aux personnes en situation de handicap et les professionnels de santé. Il s’agit de la version « Projet – 27/11/2013 – Oplossing 5 bis-Solution 5 bis », jointe en annexe à la demande d’avis du 9 décembre 2013. Avis rendu par le Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) en ses séances du 16/12/2013 et du 20/01/2014
Demandeur
Avis rendu à la demande de madame Laurette Onkelinx, Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, dans sa lettre du 9 décembre 2013
Objet
Il s’agit d’un projet de protocole d’accord concernant la relation entre les professionnels travaillant dans le secteur de l’aide aux personnes en situation de handicap et les professionnels de santé, qui sera soumis à la signature de la Conférence interministérielle Santé.
Les arrêtés royaux suivants sont à la base de la discussion:
- L’AR n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé
- L’AR du 18 juin 1990 portant fixation de la liste des prestations techniques de soins infirmiers et de la liste des actes pouvant être confiés par un médecin à des praticiens de l'art infirmier
- L’AR du 12 janvier 2006 fixant les activités infirmières qui peuvent être effectuées par des aides-soignants et les conditions dans lesquelles ces aides-soignants peuvent poser ces actes
Les termes techniques repris dans la liste des activités que l'aide-soignant(e) peut effectuer sous le contrôle de l'infirmier/-ière et dans une équipe structurée, annexée aux ’arrêtés mentionnés en dernier lieu ci-dessus, sèment la confusion en ce qui concerne l’application et l’interprétation. Les notions d’aide et ce qu’il convient d’entendre par ‘problèmes de déglutition’, par exemple, ne sont pas suffisamment définis, voire pas du tout.
Examen
La demande d’avis fait état de situations problématiques qui ont été mises au jour dans des institutions pour personnes handicapées. A cet égard, il n’est pas dit clairement pour qui, au juste, des situations problématiques se posent. S’agit-il de situations problématiques parce que les éducateurs assument des tâches qui, aux termes de la réglementation actuelle, sont censées être exécutées par un infirmier ou une infirmière? Ou des situations problématiques surgissent-elles pour la personne handicapée?
Le protocole d’accord a pour objectif de créer des conditions de soins optimales et pragmatiques en élargissant la palette de tâches qui peuvent être exécutées par les éducateurs. En outre, il encourage la collaboration entre les différents professionnels.
Le protocole s’accompagne d’une introduction, qui a également été transmise.
Cette introduction mentionne un projet de Loi Santé approuvé en première lecture par le Conseil des ministres et déposé au Parlement. Le projet comprend notamment les points suivants:
- l’interdiction pour un prestataire de soins de santé d’enseigner à un tiers une technique ou un acte relevant de son art serait levée sous certaines conditions
- la continuité des soins serait également imposée aux infirmières et aux infirmiers.
Nous lisons dans l’introduction qu’il faut éviter la médicalisation du lieu de vie des personnes handicapées, mais aussi que, dans le même temps, il faut qu’elles bénéficient de soins de santé par des professionnels agréés lorsque leur état le requiert.
Le texte même du protocole stipule ce qui suit
- Point 4: ‘Toutes les activités pouvant être effectuées par un infirmier ne sont pas exclusivement réservées aux professionnels de santé. Les activités de soutien aux activités de la vie quotidienne, qui pourraient également être effectuées par l’entourage, peuvent être effectuées de manière autonome par les éducateurs.’ Il n’y a pas d’autres explications sur ce point.
- Point 5: Si pour un même utilisateur, un professionnel de santé est présent, ainsi qu’un éducateur ou un autre prestataire d’aide et d’accompagnement, il y a un échange mutuel obligatoire de toutes les informations pertinentes, de préférence par le biais d’un document écrit.
- Point 6: Ce point énumère de manière non limitative les signaux pour lesquels une attention permanente est attendue de la part de l’éducateur. Si un éducateur constate l’un de ces signaux, le professionnel de santé concerné doit être prévenu sans délai.
- Point 7: Ce point détermine les activités qui ne peuvent être effectuées par un éducateur que lorsqu’il existe un accord clair entre un professionnel des soins de santé et le service d’aide aux personnes en situation de handicap. Il s’agit:
- de surveiller et de signaler la température, les selles, les problèmes de déglutition…
- d’apporter une aide lors de la prise de médicaments oraux, de gouttes auriculaires, oculaires ou nasales, de surveiller la prise de médicaments, la régularité….
- Point 10: Pour terminer, ce point indique que le protocole précise l’interprétation qui doit être faite des différentes législations réglementant l’intervention des professionnels concernés par les activités à domicile ou dans les milieux assimilés que sont les lieux de vie en établissements organisés pour accueillir et héberger des personnes en situation de handicap.
Avis
Les ‘situations problématiques’ semblent être une indication importante pour l’élaboration du protocole. Nous n’avons reçu aucun signal à cet égard et nous n’avons pas connaissance de procès qui seraient en cours au tribunal, ce qui est confirmé par l’administration de la Santé publique, ainsi que par le cabinet.
La demande d’avis actuelle n’est seulement parvenue au CSNPH que parce que plusieurs membres ont signalé eux-mêmes les discussions déjà bien avancées au sujet du protocole.
Ensuite, nous avons pris contact avec le SPF Santé publique parce que nous ne pouvions pas obtenir d’informations complémentaires du cabinet de la Santé publique.
Jamais, au cours de toute la préparation du protocole, le CSNPH n’a été contacté:
- ni pour aborder les ‘situations problématiques’,
- ni pour préparer les discussions en CIM Santé,
- ni en ce qui concerne la rédaction elle-même du projet de protocole.
En ce qui concerne le projet de ‘Loi Santé’ mentionné dans l’introduction au protocole, le CSNPH n’a pas reçu la moindre information non plus.
Le CSNPH a aussi eu connaissance, de manière indirecte, d’un protocole relatif aux soins à domicile, ainsi que de l’intention de préparer un protocole similaire concernant les établissements d’enseignement.
Le CSNPH trouve inacceptable d’avoir presque complètement été court-circuité dans un tel dossier, qui porte sur la qualité de vie des personnes handicapées.
Nous renvoyons à cet effet (une fois de plus) explicitement à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui a pourtant été ratifiée par la Belgique.
- Le Préambule à la Convention, point n, stipule: ‘Reconnaissant l’importance pour les personnes handicapées de leur autonomie et de leur indépendance individuelles, y compris la liberté de faire leurs propres choix’.
- L’article 3.a de la Convention définit comme principe fondamental de celle-ci : ‘Le respect de la dignité intrinsèque, de l’autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l’indépendance des personnes’.
- L’article 4.3 de la Convention stipule que ‘Dans l’élaboration et la mise en œuvre des lois et des politiques adoptées aux fins de l’application de la présente Convention, ainsi que dans l’adoption de toute décision sur des questions relatives aux personnes handicapées, les États Parties consultent étroitement et font activement participer ces personnes, y compris les enfants handicapés, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent.’. Cet article est évidemment essentiel pour les personnes handicapées et doit constituer le fil conducteur de toute politique menée en Belgique. En effet, ce sont les personnes les mieux placées pour savoir ce qui est bon pour elles ou pas.
Le CSNPH fait également référence au communiqué de presse du conseil des ministres du 19 juillet 2013: ‘Il a enfin été rappelé à tous les membres du Gouvernement d’interpeller et d’impliquer, dès le début des processus de réflexion et de décision, le Conseil Supérieur national des Personnes handicapées, pour toutes les mesures qu’ils envisagent de prendre et qui sont susceptibles d’avoir un impact sur les droits et besoins des personnes en situation de handicap.’.
Le protocole porte en très grande partie sur des actes qui ont lieu dans la vie quotidienne et qui, en l’absence de handicap, seraient exécutés par la personne même ou ses proches (famille, amis, voisins… les proches qui l’entourent à ce moment-là). Dès lors, le CSNPH pose la question de savoir pourquoi une personne handicapée est privée de ce droit fondamental et pourquoi elle n’a pas le droit de désigner elle-même quelqu’un qui exécuterait ces actes pour elle?
Il est affirmé que ce protocole d’accord a pour objectif de créer des conditions de soins pragmatiques. Néanmoins, lorsqu’un ou plusieurs des actes énumérés doivent être exécutés plusieurs fois par jour, le système est totalement intenable. Notamment pour des raisons financières, mais aussi en raison de la disponibilité et de l’accessibilité des infirmiers et des infirmières et, surtout, en raison de la ‘perte de contrôle’ qui en découle pour les personnes handicapées.
Le protocole d’accord proposé va dans un sens diamétralement opposé à une conception générale de la société et à ce qui est précisément, à l’heure actuelle, l’objectif des institutions et des services qui aident les personnes handicapées, la finalité étant de garantir le plus longtemps possible aux personnes handicapées une vie aussi autonome que possible, loin du milieu hospitalier.
Ce protocole d’accord fait tout simplement obstacle à l’inclusion des personnes handicapées. Il ‘remédicalise’ complètement la vie des personnes handicapées, il met de gigantesques barrières à la possibilité de participer à des excursions, des clubs sportifs, des mouvements de jeunesse, des vacances et des camps, des activités culturelles et éducatives… En un mot: à la vie sociale.
L’objectif ne peut et ne doit pas être (ou devenir) que chaque personne handicapée doive accepter que l’aspect médical fasse partie de sa vie quotidienne. Le CSNPH considère dès lors qu’il s’agit d’une médicalisation fortement exagérée des actes de la vie des personnes handicapées, ce qui rend la participation à la vie sociale et l’inclusion dans la société impossibles. En d’autres termes: dans les faits, ce protocole implique une discrimination sur la base du handicap.
Le CSNPH veut se montrer compréhensif par rapport à l’objectif de réserver à chaque citoyen une même qualité de soins. La garantie de la qualité des soins est une très noble intention. Néanmoins, la qualité de la vie est prioritaire et la détermination de son contenu est un droit inaliénable de chaque individu.
En outre, la qualité de soins fait partie de cette qualité de vie. Ce ne peut et ne doit jamais devenir un but en soi. Le CSNPH se pose de sérieuses questions sur l’objectif final de ce protocole.
Notre analyse de ce protocole est la suivante: il n’impliquera pas la moindre amélioration des conditions de soins, sans même parler d’une meilleure qualité de vie des personnes handicapées, bien au contraire. Nous nous posons donc la question de savoir à qui bénéficiera ce protocole ?
Les membres du CSNPH émettent de sérieux doutes quant à la possibilité de concrétiser le protocole, vu la pénurie de personnel infirmier. Pire, notre connaissance et notre implication dans la vie des personnes handicapées nous laissent supposer que l’introduction du protocole donnera lieu à des situations dramatiques et à des admissions hospitalières massives et, surtout, inutiles.
Les personnes veulent avancer dans leur vie. Elles ne peuvent donc pas attendre de trouver un infirmier ou une infirmière pour que ce soit possible.
Ce protocole d’accord menace de mettre en péril le fonctionnement des services et institutions pour personnes handicapées et, surtout, de rendre la vie impossible aux personnes handicapées.
Cet avis concerne le document mentionné ci-dessus « Projet – 27/11/2013 – Oplossing 5 bis-Solution 5 bis », joint en annexe à la demande d’avis du 9 décembre 2013 de Madame la Ministre.
Le CSNPH demande que ce protocole ne soit pas mis en œuvre et que la problématique soit reconsidérée dans son ensemble. En premier lieu avec les personnes handicapées, leurs représentants, leurs parents et leur famille, ainsi que toutes les personnes impliquées sur le terrain: ils connaissent la réalité quotidienne des personnes handicapées. C’est uniquement de cette manière qu’une solution acceptable pour toutes les parties pourra émerger.
Avis transmis
- pour suite utile à madame Laurette Onkelinx, Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,
- pour information à monsieur Philippe Courard, Secrétaire d’État aux Personnes handicapées,
- pour information au Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme,
- pour information au mécanisme de coordination interfédéral.