Avis 2020/26
Avis n° 2020/26 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à l’accessibilité des services bancaires, rendu en séance plénière du 21/12/2020.
Avis rendu d’initiative par le CSNPH.
1. OBJET
Régulièrement, le CSNPH apprend par la presse des mesures prises par le secteur bancaire, en particulier concernant la fermeture d’agences et la réorganisation du réseau des distributeurs de billets.
2. ANALYSE
a) Au début de l’année 2020, quatre grandes banques belges, à savoir BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC et ING ont annoncé avoir noué un accord pour créer une plateforme commune de distributeurs de billets (source : L’Echo du 8 janvier 2020).
Les quatre grandes banques du royaume ont annoncé souhaiter « unir leurs forces pour créer un réseau optimisé de distributeurs qui assurerait une disponibilité d’argent liquide sûre tant pour les consommateurs que les commerçants ».
« Le nouveau réseau (...) offrira, sur base de besoins réels et de paramètres géographiques objectifs, une disponibilité optimalisée d’argent liquide dans un périmètre défini », précisent les banques. « Grâce à cette initiative, 95 % de la population belge devrait avoir accès à un distributeur à une distance maximale de 5 km. »
Les premières machines de cette nouvelle structure doivent faire leur apparition à la mi-2021.
Ces automates seront placés « le plus possible » en dehors des agences. Alors que chacune des quatre enseignes a annoncé depuis deux ans une réduction plus ou moins importante de la voilure de son réseau physique, cette plateforme leur permet de dissocier le sort des appareils de retrait de celui de leurs bureaux. « La présence du cash sera indépendante des décisions prises en matière de réseau d’agences bancaires », soulignent-elles.
Selon une étude commandée par Febelfin, la fédération du secteur financier, quelque 90 % des Belges ont une préférence pour les paiements électroniques. Le nombre de transactions effectué par ce biais (carte, Payconiq, smartphones, etc.) a ainsi bondi de 70 % depuis 2012, selon Febelfin. Sur la même période, le nombre de retraits aux distributeurs a baissé de 12 %.
Le nombre de guichets automatiques a dès lors aussi fortement baissé : on comptait 7.869 distributeurs en Belgique en 2018 contre 8.613 en 2016.
Une question a été posée par le député, Monsieur Benoît Piedbœuf, le 9 avril 2020 (Question et réponse écrite n° : 0308 -Législature : 55), à ce sujet. Monsieur Alexander De Croo, alors Vice-Premier Ministre et Ministre des Finances, lui a notamment répondu que : « Il ne me semble pas souhaitable, et cela serait probablement contreproductif, d'imposer un cadre légal. Les banques s'efforcent aussi de rendre les automates accessibles aux moins valides et je ne manquerai pas de leur rappeler leur responsabilité sociale en la matière. Quant à savoir s'il faudrait que 100 % de la population ait accès à un automate bancaire dans un périmètre de cinq kilomètres, cela me semble peu réaliste. Cela reviendrait à installer des automates dans des zones où il n'y a quasiment pas d'habitation, ce n'est pas économiquement défendable. Trouver un bon équilibre me semble primordial et le critère des 95 % me parait de plus déjà très ambitieux compte tenu du recul continu observé des paiements en liquide. »
b) Début novembre 2020, bpost a annoncé, via un communiqué de presse, la suppression de dix-sept machines de selfbanking dans la province du Luxembourg. Ces machines permettent d’imprimer des extraits de compte et d’effectuer des virements.
c) Le 8 décembre 2020, ING a annoncé la fermeture de 62 de ses agences sur 552 en 2021. La banque constate que l'appétence de ses clients pour les canaux numériques ne cesse de croître. « Il s'agit d'agences pour lesquelles un nombre limité d'interactions avec les clients a été recensé, avant même l'introduction des mesures pour lutter contre le coronavirus », souligne ING.
d) Le 10 décembre 2020, Belfius a communiqué qu’elle prévoit de procéder à la fermeture de quatorze agences statutaires, sur les 595 agences. Belfius entend aussi redessiner tout son réseau d'agences, qui a déjà été réduit d'un cinquième au cours des cinq dernières années.
e) Récemment encore, les conseils consultatifs des aînés de différentes communes se sont inquiétés de la fracture numérique au niveau bancaire.
f) Parmi les objectifs du Ministre de l’Economie, on retrouve la modernisation du service bancaire de base ; le Ministre veillera à ce que l’accès aux services bancaires de base ne reste pas lettre morte pour les groupes vulnérables qui ont besoin de services adaptés, comme les personnes en situation de handicap, les personnes âgées ou les personnes qui n’ont pas d’accès numérique aux services bancaires (exposé d’orientation politique, page 26).
3. AVIS
En ce qui concerne les distributeurs de billets :
Le CSNPH désapprouve totalement cette initiative de réduire les distributeurs de billets. Il s’inquiète fortement de la fracture numérique qui risque d’encore plus se renforcer en Belgique. Selon Febelfin, 90 % des Belges préfèrent les paiements électroniques. Le CSNPH s’étonne de ce chiffre important et se demande sur quelle base il a été déterminé. Un grand nombre de Belges, parmi lesquelles les personnes handicapées et les personnes âgées, préfèrent les paiements en liquide. De nombreuses personnes handicapées ne peuvent par ailleurs pas disposer de carte de paiement.
Les Belges avec de faibles revenus et un niveau de diplôme peu élevé ne sont pas les seuls à n’accéder que partiellement aux opportunités offertes par internet. D’autres publics sont également concernés : les personnes âgées, mais aussi les jeunes (en particulier ceux issus de milieux fragilisés), les personnes en difficulté avec l’écrit, les personnes vivant seules, les femmes et même les personnes avec de plus hauts revenus. Autant de publics qui, à un moment ou à un autre, peuvent rencontrer des difficultés pour accéder à des services en ligne (banque, emploi, éducation, santé, administration…).
La diminution des distributeurs de billets est donc véritablement problématique pour un nombre non négligeable de personnes. Les quatre grandes banques garantissent que 95 % de la population belge devrait avoir accès à un distributeur à une distance maximale de 5 km. 5 km représente déjà une longue distance. Le CSNPH rappelle qu’un grand nombre de personnes handicapées ne disposent pas d’un moyen de transport personnel ; ils dépendent des transports en commun (loin d’être toujours accessibles !) ou de l’aide d’une tierce personne pour pouvoir retirer de l’argent liquide.
A cela s’ajoute que plusieurs commerces de proximité et médecins ne disposent pas de terminaux de paiement bancaires.
Le CSNPH a cependant entendu dire que les distributeurs de billets ne seraient pas vraiment supprimés, mais déplacés dans des communes qui n’en disposent pas encore. Le Ministre de l’Economie peut-il confirmer cette affirmation ?
En ce qui concerne la fermeture des agences et des machines de selfbanking :
Ici aussi, le CSNPH est totalement opposé à cette mesure.
Effectivement, une partie de la population préfère utiliser les outils numériques pour la gestion quotidienne de leurs comptes. Mais est-ce une raison suffisante pour supprimer purement et simplement les autres moyens permettant d’accéder à ses comptes (en les remplaçant presque toujours par des services payants) ? D’après les données du SPF Economie, en 2019, 89,7 % des ménages en Belgique disposent d’une connexion internet. Il en résulte que plus de 10 % des ménages ne disposent pas de connexion.
La Fondation Roi Baudouin a relevé que 4 Belges sur 10 risquaient l’exclusion numérique. Alors que les Belges sont largement connectés à internet, d’importantes disparités persistent au sein de la population, fortement liées aux niveaux de revenus et de diplôme. Près d’un ménage sur trois avec des faibles revenus ne dispose pas de connexion internet. 40 % de la population belge ont de faibles compétences numériques. Un chiffre qui monte à 75 % chez les personnes avec des faibles revenus et un niveau de diplôme peu élevé. Elles sont respectivement 55 % et 67 % à ne pas effectuer de démarches administratives en ligne.
De plus, de nombreuses personnes handicapées et âgées éprouvent de grandes difficultés à suivre la digitalisation des banques. Elles sont obligées de travailler avec un PC ou un smartphone mais elles n’ont pas toujours accès à ces outils ou n’en sont pas équipées. Souvent, ces outils ne sont absolument pas adaptés aux capacités des personnes handicapées ou âgées.
En ce qui concerne l’impression des extraits de banques :
Pour certaines personnes, pouvoir disposer des extraits de banques sous format « papier » est indispensable. Les frais demandés pour ces impressions sont parfois exorbitants. Un membre du CSNPH a reçu le témoignage d’une personne qui a demandé des extraits sous format papier, car ceux-ci étaient réclamés par un CPAS. Cette personne a été obligée de payer 120 euros pour les obtenir !
Les personnes aveugles peuvent obtenir leurs extraits de compte en braille. Mais parfois, elles doivent demander leurs extraits en écriture « normale », car elles doivent pouvoir les présenter à des personnes qui ne lisent pas le braille. A nouveau, des frais supplémentaires sont demandés, ce qui est inadmissible.
Conclusion :
Le CSNPH rappelle que le gouvernement avait pris un engagement fort pour réduire la fracture numérique. Le CSNPH estime que les pouvoirs publics et le monde financier doivent prendre de véritables engagements pour maintenir des services bancaires accessibles à tous, en particulier aux personnes handicapées. La fonction bancaire de base n’est pas qu’une activité commerciale : il s’agit d’un service public confié à des opérateurs qui doivent assumer la mission publique déléguée qu’ils exercent au service des citoyens. L’Etat belge, en sa qualité d’actionnaire principal de bpost, a une responsabilité engagée évidente.
Le CSNPH rappelle que l’article 9 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées prévoit que : « afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l'égalité avec les autres, l'accès à l'environnement physique, aux transports, à l'information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l'information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. »
Dans son exposé d’orientation politique, le Ministre de l’Economie signale que « la modernisation du service bancaire de base fait partie de l’enjeu de la digitalisation. Je veillerai à ce que l’accès aux services bancaires de base ne reste pas lettre morte pour les groupes vulnérables qui ont besoin de services adaptés, comme les personnes en situation de handicap, les personnes âgées ou les personnes qui n’ont pas d’accès numérique aux services bancaires. J’évaluerai et améliorerai les services fournis dans le cadre du service bancaire de base, afin de tenir compte de la digitalisation du secteur, et de protéger les plus faibles, en particulier les publics souffrant de la fracture numérique. Enfin, j’augmenterai la publicité du service bancaire de base. » Le CSNPH insiste pour que ces engagements ne restent pas lettre morte. Le CSNPH souhaite également connaître les modalités du « service bancaire de base ». Quels services sont actuellement repris sous ce terme ? Ces services vont-ils être étendus ?
Le CSNPH demande au Ministre de l’Economie qu’une analyse correcte et honnête de la situation des besoins des personnes handicapées soit réalisée. Le CSNPH rappelle que la personne handicapée et la personne âgée sont des clients à part entière, que la hausse des tarifs de ce début d’année s’est aussi appliquée à eux (voir avis 2020-01). De nouvelles hausses tarifaires sont annoncées pour 2021. Celles-ci auront principalement lieu auprès des banques BNP Paribas Fortis et ING. Il y aura aussi des changements auprès d’AXA, Belfius et Deutsche Bank. Ces changements s’appliqueront invariablement à tous les clients, en ce compris ceux qui ne savent pas recourir à la digitalisation. Pour ces derniers, il est obligatoire de prévoir des aménagements tels à leur permettre d’accéder aux services bancaires sans qu’ils ne doivent déployer des efforts supplémentaires.
4. AVIS DESTINÉ
- Pour suite utile à Monsieur Pierre-Yves Dermagne, Vice-Premier Ministre et Ministre de l’Economie
- Pour suite utile à Monsieur Vincent Van Peteghem, Vice-Premier Ministre et Ministre des Finances
- Pour suite utile à Madame Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées
- Pour suite utile à Febelfin
- Pour information à Madame Sarah Schlitz, Secrétaire d’État à l’Egalité des genres, à l’Egalité des chances et à la Diversité
- Pour information à Monsieur Alexander De Croo, Premier Ministre
- Pour information à Unia
- Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD
- Pour information au Médiateur fédéral