Avis 2016/13
Logopédie
Avis n° 2016/13 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif aux conditions de remboursement des frais de logopédie par l’assurance soins de santé fixées par l’article 36 de l'annexe de l'arrêté royal du 14 septembre 1984 établissant la nomenclature des prestations de sante en matière d'assurance obligatoire soins de santé et indemnités - version telle qu’en vigueur au 1er septembre 2013. Avis émis pendant la séance plénière du 20 juin 2016, et par consultation électronique du 05 août 2016.
Demandeur
Avis rendu d'initiative par le CSNPH.
Objet
Le Délégué général aux droits de l’enfant, le Centre Interfédéral pour l’Egalités des Chances (actuellement UNIA) et l’ANAHM (Association Nationale d’aide aux handicapés mentaux) ont publié en octobre 2015 une recommandation quant aux conditions de remboursement des frais de logopédie telles que fixées par la réglementation actuelle et disposant de l’exclusion des remboursements de prestations « monodisciplinaires » effectuées « hors cadre multidisciplinaire » pour les enfants présentant un quotient intellectuel inférieur à 86. Le présent avis du CSNPH fait suite à cette recommandation.
Examen
L’article 36 de l’annexe de l’AR du 14/09/1984 établissant la nomenclature des soins de santé dispose en son §2 (voir http://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/nomenclatureart36_20130901_01.pdf) que :
« (…) L'intervention de l'assurance peut être accordée pour autant que le traitement puisse apporter une amélioration des troubles:
(...)
b) au bénéficiaire qui présente un des troubles du langage et/ou de la parole suivants :
(…)
2° troubles du développement du langage, versant réceptif et/ou expressif, démontrés par un test du langage donnant un résultat inférieur ou égal au 3ème percentile, en l’absence d'un trouble de l'intelligence (QI total de 86 ou plus, mesuré par test individuel) et en l’absence d'un trouble important de l’audition (perte auditive moyenne ne dépassant pas, à la meilleure oreille, 40 dB HL). Ces tests de langage et ces tests de QI doivent figurer dans une liste limitative approuvée par la Commission de conventions:
(…)
f) au bénéficiaire atteint de dysphasie, c'est-à-dire des troubles sévères du langage réceptif et/ou expressif, persistant après le cinquième anniversaire et qui interfèrent gravement avec la communication sociale et/ou les activités quotidiennes faisant appel au langage oral, en l’absence d'un trouble envahissant du développement, d'un trouble auditif (perte auditive moyenne ne dépassant pas, à la meilleure oreille, 40 dB HL), d'un trouble d'intelligence (QI de performance ou non-verbal ou QD (quotient développemental) de 86 ou plus, mesuré par un test individuel figurant dans une liste de tests approuvée par la Commission de conventions avec les logopèdes. »
Concrètement, ce texte a pour conséquence que les enfants présentant des troubles du développement du langage ou atteints de dysphasie et qui ont un quotient intellectuel (QI) inférieur à 86 ne peuvent bénéficier du remboursement des prestations de logopédie effectuées en dehors d’un paquet global de soins.
Il ressort par ailleurs de la nomenclature que seuls ces troubles du développement du langage et de dysphasie sont soumis à ce critère, tous les autres troubles n'y étant pas soumis. Pratiquement, les enfants atteints d'un trouble de développement du langage, quelle qu'en soit l‘origine, n'entrent dans aucune des catégories de troubles contenues dans la nomenclature.
II en résulte que ces derniers, lorsqu'ils ont un quotient intellectuel inférieur à 86, sont purement et simplement exclus du remboursement des prestations de logopédie dans le cadre de la nomenclature INAMI. Pour ces enfants, il existe une possibilité de s'adresser aux centres de rééducation ambulatoires (CRA). Ces centres assurent une prise en charge multidisciplinaire.
A l‘origine du refus de remboursement des séances de logopédie pour les enfants justifiant d'un QI inférieur à 86, outre les raisons budgétaires, le législateur souhaitait privilégier une prise en charge multidisciplinaire comportant de la logopédie dans un établissement ayant conclu avec I'INAMI une convention de rééducation fonctionnelle.
Par ailleurs, le législateur estimait que les établissements d'enseignement spécialisé permettaient également de répondre aux besoins. II n'est pas rare en effet que les enfants justifiant d'un QI inférieur à 86 fréquentent des établissements d'enseignement spécialisé, lesquels comptent dans leur personnel éducatif des logopèdes chargés de dispenser les séances nécessaires aux élèves.
Lors de la séance plénière du CSNPH du 20 juin 2016, les docteurs Eyssen (KCE) et Feron (mutualité Solidaris), recommandées par l’INAMI, ont longuement exposé leurs connaissances respectives du dossier.
Plus précisément, le docteur Eyssen a présenté le rapport KCE relatif aux jeunes souffrant d’autisme ; le nombre total de personnes souffrant d’autisme (tous âges confondus) est évalué à 70.000 personnes dont environ 40 à 50 % ont également un retard intellectuel.
Elle a insisté sur la qualité du rapport qui contient 156 recommandations - positives ET négatives, retenues pour autant que validées par 85% des experts consultés (une cinquantaine de stakeholders au total). Le Docteur a pointé les éléments déterminants qui ressortent de ce rapport, à savoir :
- approche multidisciplinaire ;
- projet personnalisé pour chaque enfant ;
- implication des parents ;
- continuité des soins ;
- formation correcte des professionnels.
Elle a défendu l’idée selon laquelle chaque enfant devrait pouvoir bénéficier d’un accompagnement pluridisciplinaire et d’une évaluation à des moments réguliers.
Le Docteur Feron a de son côté, rappelé qu’à l’origine ces prestations étaient prises en charge par le Fonds National de Reclassement Social des Handicapés (également appelé Fonds Marron). Suite à la 2ème réforme de l’Etat (1980), et la dissolution du Fonds, la logopédie a été introduite dans la nomenclature des soins de santé, avec l’exclusion des QI bas (orientés vers les écoles d’enseignement spécial) et des autistes (orientés vers les centres conventionnés). Les critères ont également évolué et de 2 ans, on est passé à 4 ans. Une plateforme entre les centres conventionnés et la logopédie en nomenclature a été créée et des listes ont été établies. Les centres conventionnés sont devenus des centres de rééducation ambulatoire (CRA) (avec la norme de 30% maximum de troubles du langage/ apprentissage) afin de les réserver aux pathologies les plus lourdes.
Le Dr Feron a insisté sur le contexte budgétaire qui ne permet pas de faire beaucoup de choses mais n’empêche pas de réfléchir à différentes pistes dans le cadre de la logopédie en nomenclature. Elle a ajouté que le document du Délégué général aux droits de l’enfant constitue un bon état des lieux de la situation.
En conclusion, le Dr Feron, a insisté sur l’importance des centres conventionnés (coût faible pour le patient) et de l’enseignement spécialisé. Elle demande une meilleure planification des centres conventionnés et une attention particulière pour la province du Luxembourg et la région du bas Namurois pour lesquelles il n’existe pas de centres conventionnés en tant que tels. Elle évoque également l’intérêt d’introduire une catégorie G dans la nomenclature (catégorie ne demandant pas un entourage multidisciplinaire).
La Ministre de la Santé publique défend quant à elle en substance le statu quo de la configuration actuelle, à savoir d’une part la prise en charge des traitements « multidisciplinaires » qui ont lieu dans le cadre de Centres de Rééducation Ambulatoire (en abrégé C.R.A., jadis appelés « centres ORL-PSY »), et où les patients sont répartis en « groupes cibles» en fonction notamment de leur QI ; d’autre part, la prise en charge paramédicale (notamment logopédique) dans le cadre de la fréquentation de l’enseignement spécialisé.
En séance plénière du 20 juin, de nombreux membres du CSNPH, confrontés à cette problématique, ont également longuement expliqué les besoins et les attentes des patients et des familles et l’inadéquation du régime actuel de remboursement.
Avis
Le CSNPH considère, sur la base des informations recueillies:
- considérations émises par le Centre Interfédéral pour l’Egalité des Chances et l’ANAHM en octobre 2015 et portées à la connaissance de la Ministre de la Santé publique;
- réponse de la Ministre de la Santé publique;
- audition en sa séance du 20 juin 2016 de 2 experts, recommandés par l’INAMI lui-même, pour leur connaissance pointue du dossier et des réalités de terrain ;
- échanges et positionnement dégagés en réunion plénière du 20 juin 2016 ;
- consultations par voie électronique du 5 août
que
- Les recherches scientifiques insistent sur la nécessité d’une approche multidisciplinaire dans le traitement des enfants présentant des troubles du langage ou de dysphasie et présentant un QI inférieur à 86. En particulier, en ce qui concerne, les enfants porteurs d’autisme, cette approche est à maintes reprises soulignée dans les directives pour des soins de qualité. Dans ce contexte, un diagnostic multidisciplinaire, précoce et de qualité, combiné avec une offre de soins « sur mesure » est l’approche à optimaliser car elle assure une prise en charge de qualité. En d’autres termes, tous les enfants doivent au minimum passer un bilan multidisciplinaire précisément pour apprécier l’accompagnement adéquat. Il est essentiel de s’assurer qu’au-delà des problèmes de langage, il n’y en ait pas d’autres (auditifs, autisme, développement global ralenti, handicap mental, problèmes émotionnels, composante familiale, …) et dont il faut tenir compte dans la mise en œuvre du traitement ;
- Les CRA ne répondent pas suffisamment aux besoins des patients. Ils sont très peu présents voire inexistants dans certaines provinces. Les parents qui résident dans ces provinces sont donc obligés de parcourir de grandes distances pour bénéficier des services des CRA. De plus, l‘inscription au sein des CRA fait l‘objet de longues listes d'attente, les délais d'attente pouvant parfois atteindre 2 années. La répartition inégale des CRA crée de facto une grave discrimination entre les enfants autistes avec QI
- L'argument selon lequel l'élève bénéficie de séances de logopédie au sein de l'enseignement spécialisé présuppose que ces élèves devraient toujours fréquenter ce type d'enseignement ;
- Cette approche ne rencontre pas du tout la philosophie inclusive actuelle. Une telle approche va à l’encontre du principe de l‘inclusion dans l'enseignement ordinaire et du libre choix de l’enseignement (Convention des Droits des personnes handicapées et Convention des Droits de l’enfant ratifiées par la Belgique).
- L'absence de remboursement des séances de logopédie porte fondamentalement atteinte à la liberté de choix des parents d'inscrire leur enfant dans la filière d'enseignement qui corresponde au mieux à ses besoins : guidés par des considérations financières et non par le bien-être de l’enfant, les parents sont amenés à inscrire leur enfant dans l'enseignement spécialisé afin de lui offrir des séances de logopédie qu'ils ne peuvent financer eux-mêmes.
- Dans l’enseignement spécialisé de type 2 en Communauté française, les textes exigent du personnel paramédical mais la réalité de terrain n’est pas celle-là. Qui décide quel accompagnement paramédical est nécessaire ? Quel nombre ?
- Cet argument ne tient par ailleurs pas compte de l’importance d'une prise en charge précoce, ni des ruptures dans le cycle scolaire (vacances) ; ce qui ne répond pas à suffisance aux besoins de l‘enfant, tant en termes de quantité qu'en termes de régularité ;
- Enfin, les prises en charge de logopédie à l’école sont moins intensives que celles réalisées par des logopèdes indépendants et les contacts entre les parents et les professionnels y sont très rares, voire inexistants.
- Last but not least, il existe des différences d'approche concernant l'enseignement spécialisé selon les régions du pays.
- Fondamentalement, l’objectif est que l’enfant reçoive un accompagnement de qualité et adéquat, quel que soit le choix de l’enseignement
Face à ces difficultés et ces défis, le CSNPH demande que
- La finalité ultime de la prise en charge de la logopédie de tous les enfants avec un QI inférieur à 86 soit de donner les meilleures chances de développement du langage (avec ses corollaires positifs) ;
- Le pouvoir politique qui retient la position unanime des experts prônant une approche multidisciplinaire, investisse dans la correction des sérieuses imperfections du système actuel existant et rende les CRA effectivement accessibles à tous les patients quel que soit leur lieu de résidence ; c’est dans ce contexte précis qu’il devient seulement possible d’apprécier si la meilleure solution consiste en une thérapie multidisciplinaire dans un CRA ou en une offre monodisciplinaire. Par ailleurs, il doit être possible, au fur et à mesure des besoins de l’enfant d’alterner les régimes (en fonction de son âge, facteurs externes…) ;
- Dans les régions où l’offre est inexistante ou insuffisante, une programmation des projets de développement devienne une priorité ; l’urgence étant le dépistage et le bilan pour ensuite développer le volet traitement ;
- Un remboursement de toutes les prestations de logopédie, quel que soit le contexte de prise en charge et dans l’attente d’une solution structurelle globale pour tous. En d’autres termes, dans l’hypothèse où les enfants ne peuvent suivre un traitement dans un CRA (déplacements longs, manque de place) et dans l’attente d’une solution structurelle, il faut leur assurer une offre de soins. Ces enfants doivent pouvoir obtenir un accès à la nomenclature de logopédie mais à la condition expresse que ce traitement se déroule sous la supervision d’un CRA. L’adaptation du remboursement INAMI dans le domaine des voiturettes pourrait être une source d’inspiration ; l'INAMI a prévu que le remboursement soit conditionné notamment à la transmission au médecin-conseil de la mutuelle d'un rapport multidisciplinaire. Ne pourrait-on imaginer 1 formule analogue (mutatis mutandis) pour la logopédie pour les enfants avec QI inférieur à 86 ? C'est-à-dire une équipe multidisciplinaire circonstancielle, avec prestations reprises dans la nomenclature c'est-à-dire du ressort de l'INAMI ;
- Les textes des arrêtés royaux du 15 mai 2003, du 19 février 2008 et du 6 juin 2012 modifient l’arrête royal du 14 septembre 1984 établissant la nomenclature des prestations de santé en matière d'assurance obligatoire soins de santé et indemnités ;
- La conférence interministérielle soit saisie.
Avis transmis
- Pour suivi à Madame Maggie De Block, Ministre de la Santé publique.
- Pour information aux Ministres de la Santé des entités fédérées, à savoir Monsieur Jo Vandeurzen, Ministre flamand de la santé, Monsieur Maxime Prévot, Ministre wallon de la Santé, Monsieur Antonis Antoniadis, Ministre de la Santé en Communauté germanophone, Madame Cécile Jodogne, Ministre de la Santé à la COCOF, Madame Bianca Debaets, Ministre de la Santé à la Vlaamse Gemeenschapscommissie et Monsieur Guy Vanhengel, Ministre de la Santé à la COCOM
- Pour information à Madame Elke Sleurs, Secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées;
- Pour information à UNIA, Centre interfédéral pour l’égalité des chances
- Pour information au mécanisme de coordination interfédéral.