Avis 2018/34
Capacité juridique
Avis n° 2018-34 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif au projet de loi portant dispositions diverses en matière de droit civil et portant simplification des dispositions du Code civil et du Code judiciaire en matière d’incapacité, et de la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine (titre 2).
Demandeur
Avis rendu d'initiative par le CSNPH, en urgence et suite à la consultation par voie électronique de l’assemblée plénière le 23 novembre 2018.
Objet
Le projet de loi global contient huit parties qui réforment ou modifient systématiquement une matière bien définie. Parmi celles-ci, figure la simplification de la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine et l’informatisation des procédures en matière d’administration.
Le CSNPH limite son avis à cet aspect précis.
Analyse
Le 1er septembre 2014, la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine est entrée en vigueur. Cette loi a introduit un statut de protection unifié que le juge de paix peut prévoir au cas par cas. En outre, cette loi a inséré une mesure de protection extrajudiciaire, à savoir « la procuration de soins ».
La mise en œuvre de ces dispositions a soulevé plusieurs critiques après son entrée en vigueur, parmi lesquelles :
1) la charge de travail pour les justices de paix et la complexité de certains aspects, rendant plus compliquée l’accession à l’administration ;
2) l’inapplicabilité de certaines dispositions ;
3) le manque d’implication de l’entourage lors de l’organisation et de l’exécution de l’administration, alors que la loi vise précisément à renforcer le rôle de l’entourage ;
4) le recours trop systématique à des administrateurs professionnels ;
5) l’insuffisance de travail personnalisé. Trop d’administrations générales seraient encore décidées, alors que la loi se fonde précisément sur les possibilités de la personne concernée et que l’incapacité devrait devenir l’exception.
Le titre 2 de ce projet de loi vise à simplifier la législation en matière d’administration et à informatiser la procédure.
Un registre central de la protection des personnes, ci-après dénommé “registre”, est créé. Le registre est la banque de données informatisée qui permettra la gestion, le suivi et le traitement des procédures relatives aux personnes protégées dans leur intégralité. Il rassemblera toutes les pièces et toutes les données relatives à une procédure de protection judiciaire et constituera la plateforme à travers laquelle s’effectueront les échanges entre le tribunal et les acteurs concernés.Cela devra permettre de diminuer la charge de travail des magistrats et des greffiers, d’exercer l’administration de manière plus efficace dans l’esprit de la loi et de rendre les procédures plus accessibles et plus souples pour les justiciables.
Les auteurs du projet de loi insistent sur le fait que la protection de la personne et des biens de l’intéressé reste une considération primordiale. Ainsi, si la demande envisage une mise sous protection judiciaire ou une aggravation des mesures existantes, un certain nombre de garanties procédurales devront permettre au juge d’interpréter correctement l’intérêt de la personne. Dans les hypothèses où le principe de l’autonomie et la capacité de la personne est restreinte, l’idée est de donner au juge tous les instruments légaux pour qu’il limite les mesures à ce qui est strictement nécessaire à la gestion de ses intérêts (article 488/1, alinéa 1er, du Code civil).
Une seule procédure restera prescrite mais dont les modalités pourront varier en fonction du type de demande. Une subdivision est établie entre les procédures purement administratives (p. ex. autorisation de l’administrateur) et les procédures relatives à la capacité juridique de la personne protégée qui doivent évidemment satisfaire à des exigences plus strictes (enquête sur la situation de la personne auprès de l’entourage, audition des intéressés, etc.).
De même, la procédure de nomination d’un administrateur est simplifiée. Le juge de paix ne nomme désormais l’administrateur qu’après s’être assuré de son acceptation, comme c’est déjà le cas dans le cadre de la tutelle.
Le champ d’application de la protection extrajudiciaire est, d’une part, précisé en indiquant qu’il peut également concerner les actes relevant de la gestion et, d’autre part, élargi aux actes en matière de droits personnels pour autant qu’ils ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une législation spéciale.
Le champ d’application des actes sur lesquels le juge de paix doit d’office se prononcer dans le cadre d’une protection judiciaire est revu et ce, pour se conformer aux besoins de la pratique et s’assurer d’une concordance entre mesures de protection judiciaire et autorisations du juge de paix qui en découlent.
L’évaluation obligatoire dans les deux ans suivant l’organisation d’une mesure de protection judiciaire est remplacée par un système d’évaluation permanente, chaque fois qu’il y a lieu d’être. L’administrateur a désormais l’obligation d’informer le juge de paix des modifications fondamentales de la situation. Le juge de paix examine ensuite si cela doit donner lieu à une évaluation.
Et enfin, l’idée de la liste des états de santé pouvant entraîner une incapacité générale en termes de droit patrimonial et le retrait de plein droit d’un certain nombre d’obligations, est abandonnée.
Avis
Le calendrier des travaux à la Chambre –texte en seconde lecture la semaine du 3 décembre, présent avis attendu pour cette date - n’a pas permis au CSNPH de mener une analyse approfondie des textes, ni des amendements déjà déposés à l’heure de la rédaction de cet avis.
Le CSNPH déplore amèrement que le Ministre n’aie pas demandé l’avis du CSNPH durant l’été, comme il l’a fait vis-à-vis d’autres organes, ce qui aurait permis au CSNPH de rassembler de manière exhaustive l’ensemble des réflexions de ses membres et des associations y liées. Le CSNPH rappelle que cette réforme impactera durablement les conditions de vie de dizaines de milliers de personnes handicapées et de leur famille et que leur avis, par la voix du CSNPH, eut été judicieux à intégrer.
Globalement, le CSNPH considère que ce projet de loi propose des évolutions intéressantes, notamment,
- l’informatisation de la procédure pour les professionnels ;
- la suppression de la liste des états de santé ;
- le rapport simplifié pour les parents dès la première audience.
Le CSNPH considère par ailleurs que le gain de temps sur le plan de la gestion administrative devra permettre au juge de paix de se consacrer davantage à la personnalisation de la mesure.
Le CSNPH émet neufs points d’attention.
- Evaluation de la mesure
- Personnalisation de la mesure
- Format papier
- Sémantique
- Suggestion d’un nouvel item : problèmes bancaires (octroi d’une carte)
- Veiller à garder une logique de protection
- Garantir une administration de qualité
- Concertation dans le cadre du mandat extra-judiciaire
- Dons et legs en faveur de l’administrateur
- Evaluation de la mesure dans le cadre de la protection judiciaire
Le CSNPH considère que le mécanisme d’évaluation (permanente) ne sera pas suffisant pour prévenir les abus dans le chef d’un administrateur. Il note
L’évaluation obligatoire dans les deux ans suivant l’organisation d’une mesure de protection judiciaire est remplacée par un système d’évaluation permanente, chaque fois qu’il y a lieu d’être. L’administrateur a désormais l’obligation d’informer le juge de paix des modifications fondamentales de la situation. Le juge de paix examine ensuite si cela doit donner lieu à une évaluation.
Le CSNPH craint en effet que le terme « évaluation permanente » signifie qu’il n’y aura plus d’évaluation du tout. Par ailleurs, et étant donné qu’il revient à l’administrateur d’informer le juge de paix (JDP), s’il ne le fait pas, comment ce dernier saura-t-il qu’il n’accomplit pas bien sa mission si aucune évaluation d’office n’est prévue ? Si tout relève du ressort de l’administrateur, il n’y aura plus de contrôle du tout. Le JDP doit garder une maîtrise sur ce processus et pouvoir endosser lui-même cette responsabilité, même si cela nécessite du temps.
Le nouveau paragraphe laisse à penser que c’est uniquement sur initiative de l’administrateur que le JDP détermine si une évaluation de la mesure de protection s’impose.
Le CSNPH demande qu’au-delà de cette évaluation permanente, qui est une bonne chose, qu’une évaluation d’office soit de toute façon prévue.
- Personnalisation de la mesure
Le CSNPH regrette que le texte ne prévoie aucune disposition concrète concernant la personnalisation de la mesure.
Le CSNPH rappelle les objectifs de personnalisation de la mesure de protection qu’entend poursuivre la législation et qu’en même temps, force est de constater que dans la pratique les mesures mises en place restent peu nuancées. Les JDP mettent souvent en incapacité les personnes pour l’ensemble des actes prévus dans les différentes listes (biens et personnes avec représentation plutôt qu’assistance)
Le CSNPH recommande que le modèle de requête soit adapté afin que, lors de la rédaction de celle-ci, la personne qui introduit la requête puisse déjà se prononcer sur la capacité de la personne à accomplir chacun des actes prévus par le législateur. En cas d’incapacité, elle pourra également se prononcer sur la nécessité d’être assistée ou représentée. Exemple de requête adaptée : http://fondation-portray.be/images/pdf/portray-requete-administration-mars-2016-modele-a-completer.pdf
En plus d’éclairer le JDP au moment de la mise en place de la mesure, cette démarche permettra de réfléchir, en amont, aux capacités réelles de la personne et à la nécessité de la protéger pour certains ou pour tous les actes prévus. Cela apportera également plus de prévisibilité quant au contenu de la décision rendue et apportera une base sur laquelle contester une protection trop lourde.
- Conserver la possibilité du format papier pour les familles
Le CSNPH salue l’informatisation de la procédure mais en même temps demande de garder aussi la possibilité de rentrer une requête/un rapport au format papier auprès du greffe, pour les familles. Le CSNPH demande à ce qu’en toute hypothèse, lorsque l’administration est assurée par les parents, tous les documents, en ce compris les requêtes, pourront être déposés au greffe (même par courrier postal) – celui-ci se chargeant de procéder à l’enregistrement dans le registre.
- Sémantique
La réflexion sur la capacité juridique des personnes majeures est à la base de cette nouvelle législation. Pourquoi dans l’ordonnance insister sur l’incapacité ? le CSNPH considère essentiel de formuler les choses positivement plutôt que négativement ! Pour être plus en accord avec l’esprit du texte de la Convention Internationale sur les Droits des Personnes Handicapées, le CSNPH recommande de formuler les choses de la manière suivante :
Exemple :
Nous, Juge de Paix, […], disons pour droit que Monsieur Y est, pour les actes en rapport avec la personne :
Non pas
Incapable, sauf représentation par son administrateur, d’introduire une demande de divorce pour désunion irrémédiable visée à …
Mais bien
CAPABLE, AVEC représentation par son administrateur, d’introduire une demande de divorce pour désunion irrémédiable visée à …
Il est important de ne pas négliger l’impact que peuvent avoir les mots sur la représentation que les personnes peuvent avoir d’elles-mêmes et de leurs propres capacités. Une nouvelle sémantique permet de consacrer l’intégration du nouveau paradigme selon lequel la capacité devient le principe et l’incapacité, l’exception.
- Problèmes bancaires récurrents > nouvel item ?
Le CSNPH souhaite relayer une demande très concrète du terrain : il devrait être précisé si la personne à protéger a la capacité de gérer un budget personnel via une carte bancaire ou en cash. (Peu importe que le montant de ce budget qui lui est alloué corresponde uniquement à de ‘l’argent de poche’ ou qu’il soit destiné à assurer l’intégralité de ses besoins quotidiens). Dans la pratique, beaucoup de personnes sous protection se voient refuser l’octroi d’une carte. Cet outil de paiement est un sésame qui permet de concrétiser la participation effective de chacun dans notre société.
- Veiller à garder une logique de protection
Etant donné l’effet pervers de l’existence de la checklist, le CSNPH considère que l’ajout de tout nouvel item doit être minutieusement pesé. Ainsi en est-il des réflexions autour de l’ajout potentiel d’un nouvel item autour de l’« exercice des droits politiques : « en quoi protège-t-on la personne en la déclarant incapable de voter ? ». Cet exercice devrait être fait pour chacun des items de la checklist (biens et personne).
De manière générale, le CSNPH considère que la liste des actes interdits doit rester la plus courte possible ET que le JDP doit clairement expliquer les motifs concrets pour lesquels il interdit l’exercice d’un acte.
- Garantir une administration de qualité
Il est important que des arrêtés soient rapidement pris, en concertation avec le CSNPH, concernant :
- les critères de qualité pour l’administration ;
- la formation des administrateurs et des JDP
- Concertation dans le cadre du mandat extra-judiciaire (art.490/2 §1er Alinéa 4)
Le CSNPH note avec intérêt les différentes évolutions proposées :
- l’extension aux droits extrapatrimoniaux ; le formalisme en fin de mandat et la concertation entre le mandant et le mandataire à intervalles réguliers.
Le mandataire associe le mandant, dans toute la mesure du possible et compte tenu de son degré de compréhension, à l’exercice de sa mission. Dans l’accomplissement de sa mission, il se concerte à intervalles réguliers avec le mandant et, le cas échéant, avec les personnes désignées par le mandant.
Ceci est une bonne chose et le CSNPH demande de « prévoir une concertation au moins une fois par an ; la formulation « à intervalles réguliers » est une formulation trop floue et qui ne permet aucune évaluation.
- Dons et legs en faveur de l’administrateur
L’article 908 en projet du Code civil signale que l’administrateur qui intervient dans le cadre d’une mesure de protection judiciaire et toute personne qui exerce un mandat judiciaire ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que la personne protégée ou la personne à l’égard de laquelle ce mandat est exercé aurait pu faire en leur faveur au cours de la protection judiciaire ou de ce mandat
Le CSNPH demande à étendre la période d’interdiction à 1 an après la fin de la protection judicaire ou du mandat et en prévoyant par ailleurs un renversement de la charge de la preuve.
Le CSNPH demande également qu’une évaluation de la mise en œuvre sur des aspects très précis soit expressément prévue dans la loi : ces aspects devraient au minimum reprendre les neufs points d’attention mentionnés mais aussi prévoir des indicateurs sur le plan de l’accessibilité de la procédure, de la simplification des processus et de la personnalisation des décisions rendues. Cette évaluation pourrait être envisagée raisonnablement à 2 ans après l’entrée en vigueur de la loi et devrait se faire avec le CSNPH.
Transmis
- Pour suivi à Monsieur Koen Geens, Ministre de la Justice;
- Pour information à Madame Zuhal Demir, Secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées;
- Pour information à UNIA;
- Pour information au mécanisme de coordination interfédéral.