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Avis 2023/24

 

Avis n° 2023/24 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à la contribution de la société civile organisée sur les Etats généraux de la transition juste, rendu en séance plénière du 16/10/2023.

Avis rendu d’initiative par le CSNPH.

 

1. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à Madame Zakia Khattabi, Ministre du Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal
  • Pour information à Monsieur Alexander De Croo, Premier Ministre
  • Pour information à Madame Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris
  • Pour information à Unia
  • Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD
  • Pour information au Médiateur fédéral
 

2. OBJET

La Belgique s’est engagée à être neutre sur le plan climatique d’ici 2050. De septembre 2022 à mars 2023, un travail de collecte de données a été réalisé. Des discussions ont été menées avec la société civile organisée ( syndicats, patronat, ONG, etc.). Un rapport, qui a été rédigé par l’Institut Fédéral du Développement Durable, rassemble idées et recommandations.  

Ce rapport a été soumis pour avis à cinq conseils d’avis et instituts compétents pour des thématiques spécifiques.

Il n’a pas été demandé au CSNPH de remettre un avis. Etant donné les changements fondamentaux qu’implique la transition juste aussi pour les personnes en situation de handicap, le CSNPH estime absolument nécessaire qu’il remette un avis d’initiative.

 

3. ANALYSE

Le travail a été organisé en 4 phases.

1. Phase 1 : consultation des parties prenantes (mémorandums)

    1. Identification des parties prenantes syndicales, patronales et de la société civile
    2. Envoi d’un questionnaire et sa mise en ligne pour permettre à ceux qui n’avaient pas été identifiés de répondre

2. Phase 2 : Préparation du Forum

    1. Interview de 19 acteurs et actrices du monde académique, d’institutions européennes, de coupoles d’entreprises, de syndicats, d’ONG (liste page 29)
    2. Identification de 5 enjeux majeures (page 29) :
      • Impacts potentiels de la transition écologique en termes d’emploi
      • Difficulté de rassembler les différents acteurs pour dialogue tripartite répondant aux multiples enjeux
      • Difficulté d’appliquer les exemples d’autres pays à la Belgique vu son fédéralisme particulier : risque de discriminer certains territoires ou structures qui ne disposent pas des conditions nécessaires pour appliquer ces exemples de bonnes pratiques
      • Financement de la transition juste dans le contexte de l’enchevêtrement des niveaux de pouvoir
      • Opposition qui subsiste entre développement économique et transition écologique
    3. Identification de 4 moyens pour répondre à ces 5 enjeux :
      • La planification
      • La participation
      • Les sources de financement, notamment l’importance des fonds européens de transition
      • La coordination institutionnelle multi-niveaux : pour surmonter l’obstacle institutionnel belge, il faut favoriser la transversalité des compétences aux différents niveaux de pouvoir

3. Phase 3 : Organisation des tables rondes

      1. Forum organisé les 14 et 28 mars 2023
      2. Réunissant 100 représentants et représentantes du patronat, des syndicats et du monde associatif
      3. 28 tables rondes organisées autour de 4 systèmes :
        • Agriculture et alimentaire
        • Soins
        • Mobilité et transports
        • Parc immobilier
      4. …et 7 enjeux :
        • Emploi
        • Enseignement et formation
        • Financement et investissement
        • Ressources et énergies
        • Genre
        • Lutte contre la pauvreté
        • Solidarité internationale
      5. Selon une méthodologie favorisant la participation
      6. Le but était d’identifier les questions, les points d’attention et de convergence en ciblant les mesures à prendre pour atteindre la réalité souhaitée d’ici 2050. Il ressort du rapport que, à aucune phase, dans aucun domaine, les défis liés à l’inclusion de personnes en situation de handicap (PSH) n’ont été pris en compte.

4. Phase 4 : conférence de conclusion en novembre 2023 et adoption de mesures.

 

4. AVIS

A. En ce qui concerne la méthodologie

Le CSNPH n’a pas eu connaissance du processus de consultation sur 2022-2023 et n’a donc pas eu la possibilité d’apporter sa vision, ses réflexions et ses recommandations.
Le CSNPH est le conseil d’avis fédéral handicap officiel. Il remet régulièrement des avis, des notes de position et des mémorandums couvrant un large spectre d’aspects de la vie des personnes en situation de handicap. A plusieurs moments de cette législature, le Conseil des Ministres s’est engagé à associer le CSNPH aux processus de réflexion et de décision ; pour une thématique comme celle des enjeux climatiques, cela aurait dû être sans aucune hésitation le cas.
Le CSNPH aurait donc dû être identifié comme interlocuteur incontournable sur les questions du handicap. Le CSNPH précise qu’aucune personne reprise dans la liste des 19 acteurs interrogés du monde académique, d’institutions européennes, de coupoles d’entreprises, de syndicats, d’ONG ne présentait une connaissance pointue en matière de situations de handicap. Le CSNPH aurait dû être invité aux workshops ou auditionné.
Cela souligne le désintérêt total pour un groupe important de la population et le risque maximal que les priorités et mesures qui seront prises le seront en méconnaissance totale des droits et besoins des personnes en situation de handicap.
Pour rappel, les personnes en situation de handicap (PSH) représentent au minimum 12% de la population belge. Il s’agit d’un groupe important de la population.
Il est à noter que le fait de placer l’enquête initiale en ligne ne garantit pas que toute les organisations en prennent connaissance. C’est particulièrement le cas des organisations de PSH: le champ du handicap recouvre tous les aspects de la vie en société et un suivi permanent de tout ce qui est publié sur Internet est impossible.

Le CSNPH regrette de ne pouvoir participer à la Conférence des 8 et 9 novembre 2023. Il y aurait rappelé que les besoins des PSH doivent être identifiés dans tous les domaines de la vie et que la transition juste ne peut ignorer les enjeux liés à l’inclusion des PSH. Les membres du CSNPH sont fortement sollicités par leurs engagements associatifs et ne peuvent malheureusement répondre par moments à certaines sollicitations. Le défi de la Transition Juste est cependant très important pour le CSNPH et il demande à être associé au travaux qui suivront la Conférence.

Le CNSPH demande que les besoins des PSH soient pris en considération dans la définition de l’ensemble du plan climatique - et pas uniquement pour le volet « soins ».
Le présent avis constitue une première étape. Le CSNPH demande à être impliqué de manière structurée dans la suite des travaux de réflexion et de mise en œuvre.

B. En ce qui concerne le fond des préoccupations

  • L’implication structurée du CSNPH et des autres conseils d’avis handicap

D’entrée de jeu, le CSNPH tient à souligner qu’il est beaucoup moins onéreux et énergivore de mettre en place des solutions correctement conçues que de devoir les corriger a posteriori. La répartition des compétences en Belgique est telle que le politique et les administrations doivent se concerter avec les conseils consultatifs Handicap en fonction des domaines traités.

Le CSNPH demande que soient très rapidement fixées les modalités pratiques pour une consultation complète et efficace dans l’avenir des conseils d’avis handicap existant en Belgique.

  • Concernant la liste des enjeux

 Le CSNPH regrette qu’il n’y ait pas un enjeu « situation de handicap » ou « barrière à la participation à la vie en société ». En effet, beaucoup de PSH ne peuvent actuellement pas participer sur un pied d’égalité avec les autres à la vie de la société. C’est le cas de beaucoup de PSH pour qui l’environnement est totalement inaccessible. Si le processus de transition n’intègre pas cette réalité dès le départ, il va accentuer de manière catastrophique les déséquilibres qui existent déjà dans la société. Travailler sur l’élimination des barrières aurait certainement été très structurant. Pour plus d’informations sur la mise en accessibilité, voir note de position du CSNPH sur l’accessibilité.
L’exemple catastrophique de la transition numérique est parlant en la matière : développée dans la précipitation, en se basant essentiellement sur des motivations commerciales, la digitalisation laisse totalement de côté des groupes entiers de la population. Pire, maintenant que la machine est lancée, il semble de plus en plus difficile, voire impossible de corriger le tir.
Dans la vie courante, les situations d’exclusion se multiplient : impossibilité d’obtenir les factures en format papier (Proximus par ex.), procédure de scanning des boissons en canettes en Flandre inaccessibles aux personnes aveugles, … Depuis 2020, le CSNPH a rendu plusieurs avis qui mettent en évidence des problèmes en lien avec la fracture numérique. La note de position sur la fracture numérique du 20/06/2022 rappelle tous les enjeux.

Le CSNPH souligne aussi les liens avec les enjeux de l’inclusion des besoins des PSH, que ce soit en particulier pour les domaines du transport, des soins, du logement, de la formation et de l’emploi ou pour les domaines des biens et des services en général.

Le CSNPH demande que les enjeux de la transition numérique et de la mise en accessibilité de l’environnement soient rajoutés à la liste des enjeux prioritaires.

  • Agriculture et système alimentaire

Le CSNPH constate que le rapport donne beaucoup d’éléments concernant l’organisation de l’agriculture, dans le sens d’une agriculture à taille humaine et sur le fait de favoriser une alimentation saine. Par contre, il ne donne que peu de recommandations ou de points d’attention sur le système de distribution des produits alimentaires. Il semble pourtant que le système de la grande distribution est à l’origine du développement excessif d’une agriculture intensive à l’extrême et d’une alimentation de mauvaise qualité au niveau nutritif (mauvaises graisses, excès de sucres, additifs et autres conservateurs). Le lien entre la maladie - ou même le handicap - et l’alimentation est évident. Vouloir améliorer l’un sans corriger l’autre ne relève-t-il pas de la gageure ?

Un nombre important de PSH sont confrontées à des problèmes de revenus. Un grand nombre de PSH vivent d’allocations dont les montants sont sous le seuil de pauvreté. L’inflation de ces 2 dernières années a amplifié la situation.
Ces problèmes sont accentués du fait que les nombreuses barrières sociétales obligent les personnes à faire face à des coûts supplémentaires du fait de leur situation de handicap. Elles sont donc plus susceptibles d’acheter des produits moins chers et de moins bonne qualité nutritionnelle.
A cela s’ajoute le fait que les commerces de la grande distribution présentent généralement une moins mauvaise accessibilité que les commerces de proximité. Les PSH auraient pourtant intérêt à trouver, près de leur logement, des commerces de subsistance parfaitement accessibles.

Le CSNPH demande que des produits de qualité soient financièrement accessibles aux personnes en situation de handicap.
Le CSNPH demande que les commerces de proximité soient accessibles aux PSH.

  • Parc immobilier résidentiel et non-résidentiel

Le choix du lieu de vie pour un grand nombre de PSH est théorique : l’accessibilité physique du bâtiment et de son environnement, l’accessibilité financière, la possibilité d’avoir des soins à domicile de qualité, … sont autant de critères qui s’imposent à la personne tant et si bien qu’elle ne dispose pas de véritable choix.
Beaucoup de PSH ne sont pas propriétaires. Il ne leur est donc pas possible d’adapter leur logement pour le rendre moins énergivore. Elles ne peuvent pas non plus bénéficier des aides éventuelles. Compte tenu de la hauteur des loyers, elles occupent bien souvent des habitats à faible performance énergétique.
Le titre parlait de parc immobilier résidentiel et non-résidentiel. Les recommandations du rapport ne traitent pas du non-résidentiel.

Le CSNPH demande de faire de la mise en accessibilité des logements une priorité. Des règles existent depuis des années pour le parc non-résidentiel. Elle ne sont que très rarement appliquées, généralement faute de contrôle et de sanctions applicables. Le CSNPH demande que les contrevenants soient sanctionnés.
Le CSNPH attend, que pour toute construction d’habitat, neuve ou de rénovation, des normes d’adaptabilité soient désormais prévues de manière à ce qu’un logement occupé par une personne n’ayant pas de besoin spécifique puisse être vendu ou loué facilement et sans coûts importants à une personne ayant de tels besoins.
Le CSNPH attend que les PSH aient la possibilité d’acquérir ou de louer un logement présentant de bonnes performances énergétiques, répondant à leurs besoins spécifiques et situé à proximité de commerces et de services accessibles.

  • Système de soins

Les PSH sont, globalement, de grandes utilisatrices du système de soins. Cela peut être directement lié à leur situation de handicap ou en être une conséquence indirecte : situation de handicap – faible revenu – logement précaire – nutrition de moindre qualité – renoncement à des soins pourtant essentiels (dentaire, par exemple)… Pour certaines personnes il s’agit d’un cercle infernal.

L'accessibilité physique et intellectuelle aux soins est insuffisante. Le personnel soignant « général » est souvent en défaut de connaissance des besoins des personnes en situation de handicap.

Le CSNPH exige que les PSH puissent recevoir les soins dont elles ont besoin à une distance raisonnable de leur lieu de vie. Les infrastructures de soins doivent être accessibles et les prestataires de soins doivent disposer du temps et de la connaissance pour garantir un traitement de qualité et compréhensible à tous leurs patients.

  • Mobilité et système de transport

Le CSNPH constate que la mise en accessibilité des systèmes de transport en commun se fait à un rythme trop lent.
Dans trop de circonstances, la personne en situation de handicap ne peut pas utiliser les transports en commun sur un pied d’égalité avec les autres usager : maintien de l’obligation de prénotification dans les gares pour avoir accès à l’assistance, matériel et point d’arrêts inaccessibles, intermodalité insuffisante… Pour trop de personnes, recourir à un mode de déplacement individuel reste malheureusement la seule solution.
Il apparaît que la digitalisation présentée comme un progrès est en fait uniquement l’occasion de diminuer les coûts de personnel : le service est en diminution alors que le temps dégagé devrait permettre un meilleur accompagnement…

Le CSNPH attend que parmi les priorités de haut niveau de la planification figure celle que les PSH puissent se déplacer sans entrave vers les destinations de leur choix, y compris au niveau européen. Ces déplacements doivent pouvoir se faire au moment de leur choix. La personne doit pouvoir se déplacer en toute autonomie et recevoir une assistance de qualité si nécessaire et ce sans délai de demande. 

En guise de conclusion, le CSNPH insiste lourdement pour que la transition qui est nécessaire du point de vue climatique ne soit plus exclusive des besoins des PSH. Elle doit dès à présent être menée sur la base d’une concertation structurée et régulière avec les PSH au travers des conseils d’avis handicap qui existent.