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News: la désinstitutionnalisation des personnes en situation de handicap

Note de position – novembre 2018

> RESUME  Cette note de position définit la notion de désinstitutionnalisation et donne des pistes concrètes aux autorités compétentes afin de mener à bien la transition du modèle institutionnel actuel vers un modèle inclusif et participatif. Le CSNPH y énonce 5 critères essentiels à une transition respectueuse du bien-être et de la qualité de vie des personnes en situation de handicap (1 accessibilité des services généraux - 2 liberté de choisir son lieu de vie et d’en changer - 3 individualisation des lieux de vie - 4 des institutions démocratiques et participatives - 5 primauté du projet de vie).  Le CSNPH formule également 8 recommandations aux autorités compétentes afin d’atteindre ces objectifs.

SOMMAIRE

1.contexte 2
2.méthodologie 2
3.définir la désinstitutionnalisation 3
4.définir la désinstitutionnalisation 4
5.conclusion & recommandations 6
 

1/ Contexte 

L’article 19 de la Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées, intitulé : « Autonomie de vie et Inclusion dans la société » a fait l’objet, en 2017, d’une observation générale (OG) du Comité des experts en charge de la surveillance de l’application de la Convention. La rédaction d’observations générales par le Comité est une pratique courante et a pour objectif de préciser la portée des articles de la Convention.

Suite à la publication de cette observation générale, le terme « désinstitutionnalisation »  –  avec tout ce qu’il peut sous-entendre – a été introduit dans le corpus de la Convention et a émergé avec force au sein de la société civile, questionnant profondément les différents acteurs du secteur.  Ces derniers craignant ainsi la fermeture, dès demain, des institutions et des services qui accueillent aujourd’hui les personnes en situation de handicap, avec toutes les conséquences que cela suppose.

Le CSNPH a été interpellé par la radicalité de ce texte à plusieurs égards, dépassant souvent largement la portée de l’article 19 lui-même. Il l’accueille cependant comme une opportunité pour se saisir de la question de l’évolution de nos institutions. Le CSNPH a donc voulu nuancer ce texte en proposant une vision progressiste et pragmatique pour l’avenir, prenant en compte la singularité de la situation en Belgique et la diversité des besoins de soutien des personnes en situation de handicap quel que soit leur handicap et quel que soit leur âge (enfants, adultes ou personnes âgées).

La note se veut donc un guide concret à la réflexion et à l’action de tous les pouvoirs politiques en Belgique en faveur de l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers une vie autonome et inclusive.

 

2/ Méthodologie

LE CSNPH a pris le temps nécessaire à l’examen de la littérature sur les sujets de l’autonomie de vie et de l’inclusion dans la société. Il a par ailleurs longuement auditionné

  • des experts académiques ;
  • des experts du vécu : des personnes en situation de handicap elles-mêmes et des membres de leur famille ;
  • des associations représentatives de personnes en situation de handicap ;
  • des représentants d’institutions et de services d’accompagnement.

La présente note de position est le résultat de ce travail de fond, participatif et largement représentatif des réalités de vie de toutes les régions du pays.

 

3/ Définir la désinstitutionnalisation

Le CSNPH définit la désinstitutionnalisation, non pas comme la fermeture stricto sensu de toute structure collective, quel que soit sa philosophie de fonctionnement, son degré d’ouverture ou sa taille mais plutôt comme

un processus global de planification de la transformation profonde des lieux de vie collectifs. Cette transformation est fondée sur la qualité de vie et le respect des droits des personnes en situation de handicap, tels qu’énoncés dans la Convention.

Le CSNPH ne part donc pas du postulat que l’institution est « par nature » liberticide ou néfaste pour le bien-être des personnes en situation de handicap même s’il constate que cette tendance peut exister lorsque: 

  1. les usagers sont tenus à l’écart de la vie en société et/ou sont contraints de vivre en collectivité;
  2. ces usagers ne disposent pas d’un contrôle suffisant sur leur vie et sur les décisions qui les concernent;
  3. les exigences de l’institution elle-même tendent à passer avant les besoins individualisés des usagers.

Le CSNPH souligne que ces indicateurs d’institutionnalisation ne s’observent pas uniquement dans des institutions publiques. Ils peuvent également apparaître lorsque la personne avec d’importants besoins de soins de santé et de soutien vit à domicile, seule ou en famille, mais dans un isolement tel qu’elle ne peut bénéficier de relations sociales épanouissantes, agir ou faire ses propres choix, moyennant un soutien adéquat. Dans une telle situation, la personne peut alors se retrouver institutionnalisée chez elle. 

Ainsi, ni l’institution ni la famille ne sont en soi des garants de la qualité de vie des personnes en situation de handicap. Ce ne sont donc pas uniquement les murs, même s’ils peuvent y contribuer, mais aussi les règles de vie qui s’appliquent au groupe ou à l’individu, ainsi que le choix qu’a exprimé la personne de vivre en collectivité, qui définissent ensemble le caractère plus ou moins institutionnalisant des structures de vie collective et/ou des services à destination des personnes en situation de handicap.  

Le CSNPH considère absolument nécessaire de tendre vers une définition positive et constructive des « situations de vie collective ». Il veut préciser les éléments qui permettront d’apprécier dans quelle mesure une situation de vie collective respecte et répond aux besoins de choix de vie et d’inclusion sociale de la personne, quels que soient ses besoins de soutien.

Le CSNPH a ainsi dégagé lors des auditions plusieurs critères fondamentaux, à même de garantir l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société. Il ne s’agit pas d’une obligation de résultats mais bien d’une obligation de moyens à mettre en œuvre afin d’assurer à chaque personne le maximum d’autonomie et de participation à la vie sociale, quand bien même cela passerait par la fréquentation choisie de structures collectives répondant aux critères de qualité énoncés ci-dessous.

Le CSNPH tient enfin à rappeler que l’on ne peut envisager la transition de notre modèle actuel sans questionner aussi la puissante logique d’exclusion qui caractérise la société toute entière. Ainsi, il ne s’agira pas uniquement de transformer le modèle institutionnel actuel mais aussi de s’inscrire dans une logique de prévention de l’institutionnalisation. Cela suppose

  • de penser l’inclusion dès le plus jeune âge afin que les enfants et les jeunes en situation de handicap puissent vivre au sein de la société  ordinaire, leur permettant ainsi à apprendre à mieux définir leurs besoins et leurs choix de vie ;
  • Que la société promeuve ce vivre ensemble

 

4/ Cinq critères pour une transition de qualité

  1. Des services généraux accessibles 

La réflexion autour de la désinstitutionnalisation ne peut se tenir sans réfléchir en même temps aux causes de l’institutionnalisation. Il convient ainsi de se demander pourquoi l’institution est parfois la seule perspective pour un certain nombre de personnes. Le manque d’accessibilité des services généraux aux personnes en situation de handicap constitue un élément important de cette réflexion. Parallèlement, les mentalités doivent évoluer afin d’appréhender les personnes en situation de handicap comme faisant partie intégrante de la société et non comme des éléments évoluant à part.

  1. La liberté de choisir son lieu de vie et d’en changer 

Les personnes doivent rester libres de choisir leur lieu de vie, qu’il soit collectif ou non, qu’il rassemble ou non d’autres personnes avec un handicap. La vie au sein d’une structure collective peut tout à fait rencontrer les conditions d’une qualité de vie  et répondre aussi à la volonté des personnes en situation de handicap de partager des vécus et des moments de vie. Ce choix doit néanmoins pouvoir s’effectuer dans un contexte où l’offre de services adaptés et financièrement accessibles est suffisamment développée pour permettre aux personnes de faire un véritable choix. 

Nous insistons sur :

  • L’accessibilité des services généraux aux personnes en situation de handicap (soins, éducation, mobilité, loisirs, participation sociale etc.)
  • L’existence d’une offre variée. Il ne s’agit en effet pas de réfléchir uniquement en termes de nombre de places disponibles mais bien en termes de solutions aux demandes des personnes en situation de handicap (services à domicile de qualité, services d’accompagnement, etc.)
  • La souplesse de l’offre. La personne doit pouvoir poser des choix tout au long de sa vie. Les entrées/sorties doivent être fluidifiées et facilitées.

Il faut également garder à l’esprit que « choisir » est un acte loin d’être anodin qui nécessite apprentissages et accompagnement afin de bien saisir les enjeux et les conséquences des choix effectués. Un choix n’est par ailleurs jamais définitif et les personnes doivent pouvoir faire évoluer leur projet de vie. L’institution ne doit ainsi pas représenter une voie sans issue ou la fin d’un parcours.

  1. L’individualisation des lieux de vie : vivre chez soi… même au sein d’une structure collective.

L’institution est souvent perçue comme synonyme d’uniformisation. Elle est en effet basée sur le groupe et les «traits de personnalisation de l’habitat et du mode de vie » sont souvent relégués au second plan. Il s’agira donc, au sein même des structures de vie collective d’articuler les sphères d’autonomie et de liberté de choix et les sphères de fonctionnement du collectif. La notion d’habitat est ainsi fondamentale pour articuler ces deux sphères. 

La notion d’habitat recouvre plusieurs aspects :

  • La protection: l’habitat est un lieu de refuge où la personne se sent en sécurité, où elle est entourée de personnes en qui elle a confiance.
  • L’ouverture: l’habitat est le point de départ sur le monde. Notre monde est organisé autour de notre habitat. C’est le lieu privilégié de la personne qui doit lui permettre de s’ouvrir vers l’extérieur.
  • L’intimité : La structure collective, quelle que soit sa taille, doit permettre à chacun de jouir d’une vie intime et privée (recevoir des amis, de la famille, avoir une vie affective et sexuelle, disposer de son téléphone privé, d’une boite aux lettres, choisir son médecin, etc.). Nous pouvons raisonnablement penser que cette intimité ne peut être garantie dans des lieux de vie collectifs accueillant un trop grand nombre de personnes.

Des réponses collectives de vie à une échelle réduite ont vu le jour ces dernières années. Ces projets proposent, à des degrés divers, une offre personnalisée répondant aux demandes des personnes elles-mêmes. Ces nouvelles formes de vie présentent des avantages :

  • Elles participent à la solidarité voulue entre tous. Les formes d’habitation solidaire entre personnes « ordinaires » se multiplient aussi, parfois pour des raisons financières, mais tout autant comme rempart contre l’isolement et l’exclusion sociale.
  • Elles sont basées sur un fonctionnement souple permettant de concilier besoins individuels et vie collective.
  • Elles offrent un cadre qui participe au sentiment de sécurité des usagers.

Si des limitations à l’individualisation ou à certaines libertés apparaissent, elles doivent résulter de raisons impérieuses (mise en danger des autres ou de soi-même) et ne doivent pas être disproportionnées ou résulter d’une différence de traitement sous prétexte du handicap. Nous sommes conscients que la liberté de choix des personnes en situation de handicap n’est pas absolue et peut se trouver limitée, comme pour toute personne « ordinaire », par des considérations d’ordre économique, culturel ou social. 

Mais le handicap ne doit en aucun cas être un prétexte à l’imposition d’un modèle ou d’un choix de vie. 

  1. Des institutions démocratiques et participatives

Les usagers doivent pouvoir participer à la définition des règles et au fonctionnement du service qui les accueille. Ces règles doivent pouvoir évoluer et être questionnées. Le projet institutionnel ne doit pas être figé. Il évolue constamment avec ses usagers. Ce sont eux, directement ou indirectement, qui le font évoluer.

La personne doit ainsi être impliquée régulièrement dans l’évaluation de sa situation de vie. Dans certaines institutions, la critique reste mal vécue: ni les résidents, ni les familles n’osent s’exprimer. Des réunions régulières doivent permettre les échanges entre la direction et les travailleurs, des résidents et leurs familles.

Il est important pour cela que chaque service mette en place un comité des usagers, présidé par une personne extérieure au service, afin de permettre aux usagers de s’exprimer avec la liberté nécessaire. Cette liberté devra être garantie par des dispositifs de contrôle internes et externes, des mécanismes de conciliation ainsi que des procédures de plainte.

  1. La primauté du projet de vie

L’institution doit être la garante du projet et de la qualité de vie des personnes qu’elle accueille. Ainsi, les exigences de l’organisation elle-même ne doivent pas passer avant les besoins individualisés des usagers. Les règles de financement des institutions avec des quotas de présence imposés, empêchant parfois les personnes de retourner en famille, est un exemple illustrant cette problématique.  

 

5/ Conclusion et recommandations

La désinstitutionnalisation ne signifie pas la fermeture inconditionnelle de toute structure collective mais elle renvoie plutôt à l’évolution et à la transformation des structures existantes afin de garantir le respect des droits des personnes en situation de handicap (autonomie, inclusion, choix de vie, etc.).

Afin de mener à bien ce processus, tout en s’assurant du bien-être et de la qualité de vie des personnes en situation de handicap, les autorités compétentes doivent tout mettre en œuvre afin de garantir : 

  1. des services généraux accessibles;
  2. la liberté de choisir son lieu de vie et d’en changer ;
  3. l’Individualisation des lieux de vie (vivre chez soi même au sein de structures collectives)
  4. des institutions démocratiques et participatives ;
  5. la primauté du projet de vie.

Cette réflexion concerne toutes les institutions et structures résidentielles, les services d’accompagnement et de soins au domicile, quels que soit l’âge ou la déficience de la personne.

Afin d’atteindre ces objectifs, le CSNPH demande :  

  1. d’interpréter la notion de désinstitutionnalisation comme un processus global de transformation profonde des lieux de vie collectifs fondés sur la qualité de vie et le respect des droits des personnes en situation de handicap, tels qu’énoncés dans la Convention des Nations-Unies;
  1. que des moyens suffisants soient alloués afin de financer cette transition et la rendre accessible financièrement à tous . La transition ne pourra en aucun cas justifier des économies, conformément au principe de standstill;
  1. la généralisation des structures inclusives, pour autant que les besoins des personnes en situation de handicap soient pris en considération. Il est ainsi essentiel de garantir l’accompagnement médical nécessaire, quel que soit le lieu de vie choisi ;
  1. que les autorités compétentes réalisent un état des lieux complet de l’offre existante  et des besoins des personnes en situation de handicap;
  1. qu’un plan global de transition soit proposé par les autorités compétentes ;
  1. qu’un mécanisme de suivi soit mis en place afin de s’assurer d’atteindre les objectifs fixés ;
  1. que les autorités compétentes ne financent que les institutions respectant un cahier des charges précis, à même de garantir la qualité de vie des personnes en situation de handicap, sur base des critères repris dans cette note ;
  1. que les personnes en situation de handicap, ainsi que leurs représentants, soient associés à la réflexion dès le début du processus.
 

[1] Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :

  1. a)       Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier;
    b)       Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation;
    c)       Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins.

[2] Texte intégral de l’observation générale >  https://bit.ly/2Op0iCx

[3]  Associations représentatives des personnes avec un handicap, représentants des services aux personnes,  familles, conseils d’avis, etc.

[4] https://deinstitutionalisationdotcom.files.wordpress.com/2018/04/common-european-guidelines_french-version.pdf, p.10

[5] Edouard DELRUELLE, Quelle « désinstitutionnalisation » ? Pour une approche politique des institutions