30/06/2020 - Réaction du BAPN et du CSNPH aux recommandations de la Commission européenne à la Belgique :
Les personnes en situation de pauvreté, de maladie et de handicap vont-elles payer le prix de la crise COVID 19 ?
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une pandémie mondiale. Bien que l'ampleur de cette crise ne soit pas encore claire, nous savons que la diffusion du virus COVID 19 et les mesures de confinement auront un impact sans précédent sur le niveau socio-économique et en particulier sur les personnes en situation de pauvreté et les groupes vulnérables. Même avant le déclenchement de la crise COVID 19, plus de 1,8 million de personnes, soit 16,4% de la population belge, vivaient avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté. (1) Ce chiffre était déjà le plus élevé depuis le début du monitoring systématique dans notre pays. Avant la crise sanitaire actuelle, un grand groupe (25,3 % !) n'avait pas non plus de budget pour des dépenses imprévues. (2) Maintenant que pendant la crise, non seulement le revenu de certaines familles a baissé, mais aussi le coût de la vie a augmenté, il ne devrait pas nous étonner que les ménages financièrement vulnérables risquent de sombrer complètement. (3) Nous saluons le fait que la Commission européenne ait choisi de concentrer ses recommandations spécifiques par pays (4) entièrement sur la lutte contre la crise COVID 19. Cependant, nous sommes surpris que la Commission semble considérer cette crise comme purement économique. Nulle part dans les recommandations adressées à la Belgique, il n'est conseillé ou recommandé de prendre des mesures pour lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales. Nous craignons que sans une politique décisive en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, les personnes en situation de pauvreté et les groupes vulnérables devront payer le prix le plus élevé de la crise.
Analyse des recommandations spécifiques par pays de la Commission européenne
La Commission conseille à la Belgique de faire face à la pandémie en stimulant et soutenant l'économie et sa relance. La résilience des soins de santé doit être renforcée et les équipements médicaux essentiels doivent être suffisamment disponibles. Les investissements publics et privés qui font partie de la transition verte et numérique doivent être intensifiés. En même temps, la Commission avertit qu'à moyen terme, la Belgique doit garder sa dette publique sous contrôle. Les liquidités des entreprises et des indépendants doivent être renforcées et le climat des affaires amélioré. Des mesures doivent être prises pour protéger l'emploi. Des mesures efficaces en faveur du marché du travail doivent être prises et la formation continue des adultes doit être encouragée. Nous sommes déçus que la Commission ne prête pas attention au fait que certaines personnes sont toujours exclues du marché du travail en raison d'un handicap ou d'une maladie grave, mais aussi parce qu'elles ont été complètement rejetées par le marché du travail. Ces personnes devraient recevoir des allocations et des aides publiques, sans conditions, afin de pouvoir mener une vie digne. Ces allocations doivent être supérieures au seuil de pauvreté européen.
Grâce au Socle européen des droits sociaux, signé par les États membres de l'UE et les institutions européennes, et à la poursuite d'une Europe plus durable, notamment dans le cadre du "Green Deal", les attentes sont grandes pour que l'Europe prenne enfin une orientation plus sociale, plus inclusive et plus durable. Il est donc très décevant de constater que, à l'exception de quelques références mineures dans le préambule, l'impact inédit de la crise sur le plan social n'est pas pris en compte. La lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ne semble pas être une priorité pour la Commission.
Par ailleurs, en mettant l'accent sur la discipline budgétaire, la Commission semble opter à nouveau pour les anciennes recettes. Ces dernières années, la poursuite de l'équilibre budgétaire a toujours engendré des économies dans notre pays. En conséquence, la sécurité sociale a encore été fragilisée. C'est ce qu'a révélé le tableau de bord social, un instrument qui mesure les progrès de la Belgique dans la mise en oeuvre de Socle européen des droits sociaux. L'indicateur "l’incidence des transferts sociaux sur la réduction de la pauvreté" est passé de "meilleur que la moyenne" cette année à "à surveiller". (5) Une nouvelle série d'économies s'ajoutant à la crise COVID 19 aura des conséquences dramatiques pour les 1 865 000 personnes qui vivent déjà dans notre pays avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté européen. Il leur sera désormais absolument impossible de mener une vie digne et de faire valoir leurs droits fondamentaux tels que le droit à la santé, à un logement décent, à l'éducation, ... De plus, de nouvelles économies pousseront encore plus de personnes dans la pauvreté. En matière de fiscalité, la Commission recommande principalement une simplification afin de ne pas décourager les entreprises d'investir en Belgique. Toutefois, elle ne préconise nulle part un système fiscal plus équitable dans lequel les grands capitaux apportent une plus grande contribution. Cela semble pourtant être une étape indispensable pour réduire les problèmes sociaux qui ont été exacerbés par la crise de COVID 19. Même lorsque la Commission appelle à investir dans une transition verte et numérique, elle ne mentionne nulle part une transition "équitable". Cependant, une société ne peut être durable que si la pauvreté et les inégalités sociales sont combattues de manière structurelle.
Afin d'éviter que la crise n'augmente le nombre de chômeurs, la Belgique doit, selon la Commission, rendre sa politique de l'emploi plus efficace. Malgré le grand nombre de personnes qui sont dans un trajet vers un emploi, certaines d'entre elles n’accèdent pas au marché du travail. Nous sommes favorables à une approche émancipatrice de la politique du marché de l'emploi, dans laquelle les obstacles à un emploi durable sont supprimés. Cependant, ces dernières années, nous avons vu qu’en Belgique, l'accent a été mis sur une politique d'activation dont la recette principale est la sanction. Au lieu de sortir les gens de la pauvreté, cette politique les y a simplement poussés encore plus. Nous nous opposons à la poursuite d'une telle politique répressive. Nous sommes étonnés de ne voir aucune recommandation concernant l'éducation dans ce contexte. En effet, le système éducatif en Belgique obtient des résultats peu satisfaisants lorsqu'il s'agit de créer des opportunités. Elle ne fait que perpétuer des inégalités au lieu de les éliminer. La crise sanitaire actuelle renforce encore cette mécanique, entre autres en élargissant la fracture numérique. Des mesures urgentes doivent être prises pour que des groupes défavorisés ne soient pas encore plus à la traîne et ne puissent pas se connecter au marché du travail en Belgique.
Nos recommandations alternatives par pour la Belgique
Il est impératif, en premier lieu, que les décideurs politiques à tous les niveaux reconnaissent la problématique de la pauvreté et de l'inégalité et en fassent effectivement une priorité absolue. Les chiffres de la pauvreté pour la crise COVID 19 étaient déjà particulièrement élevés pour un pays prospère comme la Belgique. Le handicap et la maladie sont par ailleurs des facteurs aggravants de la pauvreté ; à l’inverse, la pauvreté génère la maladie. (6) La crise actuelle aggrave encore ce problème. Il est urgent de mettre en place une politique ambitieuse qui permette d'élaborer un véritable plan interfédéral de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, avec une vision claire et une coordination entre les différents domaines. Le prochain gouvernement fédéral doit accorder à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale la même importance qu'à la relance de l'économie et au développement durable.
Les politiques de lutte contre la pauvreté et les exclusions sociales doivent également reposer sur une priorité politique très claire, fédérale et interfédérale : ces portefeuilles fédéraux doivent relever d’un Ministre et la planification doit être inscrite dans l’accord de gouvernement ; les conférences interministérielles handicap et pauvreté doivent reprendre au plus vite car des mesures sont nécessaires à chaque niveau de compétence et dans tous les domaines de la vie : enseignement, logement, transports, emploi, etc.
A court terme, nous demandons un soutien financier direct, mensuel, pour tous les ménages financièrement vulnérables. Ce soutien financier doit faire une réelle différence dans le budget des ménages et leur être accordé directement, afin d'éviter une surcharge inutile des services du CPAS. Tous les ménages financièrement vulnérables devraient être soutenus. Les personnes bénéficiant des allocations de maladie et d'invalidité ne doivent pas être exclues. À court terme, nous demandons également qu'un plan de déconfinement social soit élaboré en collaboration avec les acteurs qui représentent et soutiennent les personnes en situation de pauvreté et les groupes vulnérables. (7)
Afin de lutter contre la pauvreté à long terme, la priorité doit être donnée au relèvement des minima sociaux au-dessus du seuil de pauvreté et aux mesures structurelles. Les gouvernements Di Rupo et Michel avaient tous deux, à juste titre, inscrit l'augmentation des revenus les plus faibles dans l'accord de coalition fédéral. Toutefois, il n'y a eu que très peu d'avancées au cours des dix dernières années et pour de nombreuses minima sociaux, le seuil de pauvreté européen est encore loin d'être atteint. La crise COVID 19 a ajouté une nouvelle pression sur les budgets des groupes financièrement vulnérables, il est plus important que jamais de concrétiser le rehaussement des revenus et allocations les plus faibles.
En outre, notre sécurité sociale, qui a de nouveau prouvé sa valeur pour protéger la société contre des grands chocs (8), doit être renforcée. En effet, les économies réalisées ces dernières années en ont affaibli l'efficacité. Les décideurs politiques doivent abandonner l'idée que notre sécurité sociale est une ligne de dépense, mais la considérer comme un investissement nécessaire dans notre société à long terme. Dès lors, nous demandons que des mesures urgentes soient prises pour une fiscalité plus équitable, afin que les épaules les plus fortes portent les charges les plus lourdes. Un financement plus équitable de notre sécurité sociale et des soins de santé, qui inclut les capitaux, est nécessaire pour s'assurer que personne ne soit oubliée.
Enfin, nous demandons que les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale soient réfléchies et développées, dès le départ, avec les personnes elles-mêmes au travers des structures existantes, notamment le Réseau belge de lutte contre la pauvreté (BAPN), le Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) et la Plate-forme belge de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Dans ce cadre, nous référons également spécifiquement aux avis de la Plate-forme belge (9) et du CSNPH (10) qui ont été publiés dans le Programme national de réforme de la Belgique et la réaction commune (11) du BAPN et du CSNPH sur le Programme national de réforme.
Notes de fin:
- Les statistiques EU-SILC calculent le risque de pauvreté comme le fait d’avoir des revenus à un niveau inférieur à 60% du revenu médian belge. Elles sont très utiles pour fournir un standard minimum de base, mais sous-estiment la pauvreté : d’une part elles ne tiennent pas compte des situations particulières de chaque ménage ; de l’autre elles se basent sur des enquêtes qui sous-estiment certains revenus, notamment ceux issus de la propriété. https://plus.lesoir.be/8911/article/2015-10-12/la-pauvrete-est-sous-estimee-en-belgique ; https://statbel.fgov.be/fr/themes/menages/pauvrete-et-conditions-de-vie/risque-de-pauvrete-ou-dexclusion-sociale#figures
- https://statbel.fgov.be/fr/themes/menages/pauvrete-et-conditions-de-vie/privation-materielle-et-sociale
- Voir entre autre : Banque Nationale (juin 2020), La crise du coronavirus a un impact négatif important sur les revenus de certains ménages avec des pertes plus prononcées pour ceux dont le revenu est plus faible; https://www.nbb.be/fr/articles/la-crise-du-coronavirus-un-impact-negatif-important-sur-les-revenus-de-certains-menages ; COVIVAT - Corona Onderzoeksconsortium Voor Inkomensverdeling en sociale effecten, Huishoudbudgetten en Sociale Minima in Lockdown, https://8d4783fa-1302-40da-8105-74e82c22674f.filesusr.com/ugd/4ab716_43e34cee5e024916a5d8dda8029c5cc3.pdf
- Les recommandations spécifiques par pays sont disponibles sur le site web de la Commission européenne : https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/2020-european-semester-csr-comm-recommendation-belgium_en.pdf
- Il est très inquiétant de constater que l'efficacité des transferts sociaux, traditionnellement élevée en Belgique, diminue, en particulier pour les enfants et les personnes en âge actif. En 2018, les transferts sociaux ont réduit le taux de risque de pauvreté de 25,1 % à 16,4 %, soit une réduction de 34,7 %. Entre 2005 et 2016, l'efficacité des transferts sociaux pour la population totale a diminué peu à peu, passant de 47,7 % à 44,2 %. Ce déclin a été beaucoup plus rapide au cours des trois dernières années. Pour en savoir plus, voir : SPF Sécurité sociale (2019), L'évolution de la situation sociale et de la protection sociale en Belgique 2019. Lentement à la traîne, https://socialsecurity.belgium.be/sites/default/files/content/docs/en/publications/silc/silc-analysis-social-situation-and-protection-belgium-2019-en.pdf
- http://ph.belgium.be/fr/nouvelles-amp-presse/03-12-2019-beaucoup-trop-de-personnes-handicap%C3%A9es-vivent-en-situation-de-pauvret%C3%A9.html
- Ces deux demandes sont soutenues par presque 300 acteurs du monde social, socio-culturel et académique : https://www.levif.be/actualite/belgique/pour-une-strategie-de-deconfinement-qui-prenne-au-serieux-toutes-les-populations/article-opinion-1296279.html
- Voir : https://www.knack.be/nieuws/belgie/sociologe-bea-cantillon-mensen-hebben-er-geen-benul-van-hoe-armen-deze-lockdown-doormaken/article-longread-1583025.html?request-paywall-trial
- https://www.mi-is.be/sites/default/files/documents/opinion_de_la_plateforme_belge_pnr2020_fr.pdf
- Voir p 303, https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/2020-european-semester-national-reform-programme-belgium_en_0.pdf
- https://www.bapn.be/message/nationaal-hervormingsprogramma-2020-van-belgie
Pour plus d’informations:
Gisèle Marlière (CSNPH): 0478 36 22 70
Le CSNPH représente les personnes handicapées de Belgique dans toutes les matières qui, au niveau fédéral, sont susceptibles d'avoir des conséquences sur leur vie.
Guy Tordeur (BAPN): 0474 55 96 11
Le BAPN représente les quatre réseaux régionaux de lutte contre la pauvreté et leurs associations affiliées aux niveaux fédéral et européen. Le BAPN facilite la participation des personnes en situation de pauvreté à la Plateforme belge et a contribué à la rédaction de l’avis de la Plateforme.