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Avis 2021/14


Avis n° 2021/14 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à la directive 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil rendu en séance plénière du 17/05/2021.

Avis rendu à la demande de Monsieur Pierre-Yves Dermagne, Ministre du Travail par sa lettre du 08/03/2021.

1. OBJET

La directive 2019/1158 votée par le Parlement Européen vise à renforcer l'égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail.

2. ANALYSE

Une présentation de la directive a été faite par une représentante du SPF Emploi à certains membres et experts du CSNPH. Lors de cette présentation, les points suivants ont été mis en évidence :

  • La directive a pour objectif de parvenir à l'égalité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les opportunités sur le marché du travail et le traitement au travail. Elle veut faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale pour les travailleurs qui sont parents ou aidants. Elle développe et modernise le cadre législatif existant. Elle met notamment l’accent sur le droit des pères et sur les allocations. Elle met également l’accent sur la possibilité d’instaurer des formules souples de travail.

  • Elle prévoit des exigences minimales, en matière de droits individuels, ainsi que des mesures de protection :

    • congé parental
    • congé de paternité (congé de naissance)
    • congé d’aidant
    • congé pour des raisons impérieuses
    • droit de demander des formules souples de travail
  • Elle s’applique aux travailleurs qui ont un contrat de travail ou une relation de travail tel que défini dans chaque État membre, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice. Pour la Belgique, elle est donc applicable :

    • aux travailleurs du secteur privé liés par un contrat de travail
    • aux travailleurs du secteur public liés par un contrat de travail
    • au personnel statutaire du secteur public

La demande d’avis au CSNPH se réfère particulièrement à l’article 5.8 de la directive, qui dispose :

Les États membres évaluent la nécessité d'adapter les conditions d'accès et les modalités précises d'application du congé parental aux besoins des parents adoptifs, des parents ayant un handicap et des parents dont les enfants ont un handicap ou souffrent d'une maladie de longue durée.

Le considérant 37 prévoit :

Indépendamment de l'exigence d'apprécier s'il y a lieu d'adapter les conditions d'accès au congé parental et les modalités précises de celui-ci aux besoins spécifiques des parents dans des situations particulièrement défavorisées, les États membres sont encouragés à apprécier s'il y a lieu d'adapter les conditions d'accès à l'exercice du droit au congé de paternité et les modalités précises de celui-ci, au congé d'aidant et aux formules souples de travail à des besoins spécifiques, tels que ceux des parents isolés, des parents adoptifs, des parents handicapés et des parents d'enfants handicapés ou souffrant d'une maladie de longue durée, ainsi que des parents qui se trouvent dans des circonstances particulières telles que des naissances multiples ou prématurées.

En ce qui concerne le congé parental

L’article 5 prévoit :

  • un droit au congé de 4 mois/travailleur (dont 2 non-transférable)
  • en raison de la naissance ou de l'adoption d'un enfant pour s'occuper de celui-ci ;
  • à prendre avant que l'enfant n'atteigne un âge déterminé pouvant aller jusqu’à 8 ans ;
  • la possibilité de demander la prise du congé en recourant à une solution flexible ;
  • le refus de l’employeur doit être justifié par écrit.

Les possibilités d’adaptation laissées aux États membres sont les suivantes :

  • la limite d’âge de l’enfant ;
  • le délai pour introduire la demande ;
  • le fait de subordonner le congé à une période de travail ou à une exigence d'ancienneté de maximum 1 an ;
  • le report du congé, justifié par écrit, pour une durée raisonnable au motif que le fait de prendre ce congé parental au moment demandé perturberait gravement le bon fonctionnement de l'employeur.

La directive prévoit que le travailleur a droit à une allocation ou une rémunération pendant 2 mois.

En Belgique, chaque travailleur a droit à un congé parental de 4 mois par enfant (non-transférable) en raison de la naissance ou de l’adoption d’un enfant, pour s’occuper de celui-ci. Les modalités sont les suivantes :

  • soit 4 mois de suspension (possibilité de fractionner par mois) ;
  • soit 8 mois de réduction à mi-temps des prestations à temps-plein (en périodes de 2 mois ou un multiple de ce chiffre) ;
  • soit 20 mois à 1/5 de réduction des prestations à temps plein (en périodes de 5 mois ou un multiple de ce chiffre) ;
  • soit 40 mois à 1/10 de réduction des prestations à temps plein moyennant l'accord de l'employeur (en périodes de 10 mois ou un multiple de ce chiffre).

Le passage d’une modalité vers une autre est possible.

La limite d’âge de l’enfant est fixée à 12 ans. Par dérogation, il est fixé à 21 ans :

  • lorsque l'enfant est atteint d'une incapacité physique ou mentale (sic) de 66% ;
  • lorsque l’enfant est atteint d'une affection qui a pour conséquence qu'au moins 4 points sont reconnus dans le pilier I de l'échelle médico-sociale au sens de la réglementation des allocations familiales ;
  • ou qu’au moins 9 points soient reconnus à l’enfant dans l’ensemble des trois piliers de cette échelle médico-sociale.

Le travailleur doit avoir été dans les liens d'un contrat de travail avec l'employeur qui l'occupe, pendant 12 mois au cours des 15 mois qui précèdent la demande. L’employeur ne doit actuellement pas justifier son refus.

Le travailleur a droit aux allocations à charge de l’ONEM pendant 4 mois (pour les naissances à partir du 8/3/2012). L’allocation est forfaitaire. Par exemple, le montant brut en cas de suspension pour un travailleur à temps plein) est fixé à 851,59€/mois. Lorsque le travailleur est isolé, i est de 1400,01€/mois.

En ce qui concerne le congé d’aidant

La directive prévoit qu’il est possible d’accorder un congé de 5 jours ouvrables par an

  • pour apporter des soins personnels ou une aide personnelle à un membre de la famille ou à une personne qui vit dans le même ménage que le travailleur et qui nécessite des soins ou une aide considérables pour raison médicale grave telle qu'elle est définie par chaque État membre ;
  • pour les ascendants et descendants jusqu'au premier degré, le conjoint ou le partenaire civil et les membres du ménage du travailleur.

Les possibilités d’adaptation laissées aux États membres sont les suivantes :

  • accorder le congé sur la base d'une période de référence autre qu'un an, par personne ayant besoin de soins ou d'aide, ou par événement ;
  • déterminer des éléments supplémentaires concernant le champ d'application et les conditions ;
  • le recours à ce droit peut être subordonné à la présentation de justifications appropriées.

En Belgique, il y a plusieurs types de « congé d’aidant » :

  • le congé pour soins palliatifs – actuellement 2X 1 mois  ;
  • le congé d’aidant proche – actuellement 1 mois ; un arrêté royal annoncé prévoirait 6 mois par personne aidée ;
  • le congé pour assistance médicale :
    • pour l'assistance ou l'octroi de soins à un membre de leur ménage ou à un membre de leur famille qui souffre d'une maladie grave ;
    • 12 mois de suspension ou 24 mois de réduction des prestations d’1/2 ou d’1/5 temps par patient ;
    • pour le travailleur isolé, la période maximale est doublée, en cas de maladie grave de son enfant âgé de 16 ans au plus ;
    • durée de l’interruption complète : par période de minimum 1 mois et maximum 3 mois ; (les périodes d'interruption complète obtenues dans le cadre de l'assistance médicale peuvent être prolongées de manière consécutive ou non jusqu'à 12 mois maximum) ;
    • règles spécifiques pour l'assistance ou les soins à un enfant mineur pendant ou juste après l'hospitalisation de l'enfant des suites d'une maladie grave ;
    • la période de suspension minimale peut être réduite, moyennant l'accord de l'employeur, jusqu'à soit une semaine, soit deux semaines, soit trois semaines.

La directive prévoit par ailleurs que des formules souples de travail peuvent être instaurées, dans le but de s’occuper des membres de sa famille.

  • Les formules souples de travail consistent en la possibilité d'aménager le régime de travail des travailleurs, y compris par le recours au travail à distance, à des horaires de travail souples ou à une réduction du temps de travail.
  • Les employeurs examinent les demandes de formules souples de travail et y répondent dans un délai raisonnable, en tenant compte à la fois de leurs propres besoins et de ceux des travailleurs. Le refus ou le report doit être justifié par l’employeur.
  • Les formules souples de travail peuvent être accordées aux travailleurs dont les enfants ont jusqu'à un âge défini, qui ne peut être inférieur à huit ans, ainsi que les aidants.

Les options d’adaptations laissées aux États membres sont les suivantes :

  • la durée de ces formules souples de travail peut faire l'objet d'une limitation raisonnable ;
  • le délai de réponse de l’employeur ;
  • la possibilité subordonner le droit de demander des formules souples de travail à des périodes de travail ou à une exigence d'ancienneté, qui ne doivent pas dépasser six mois (Member States may make the right to request flexible working arrangements subject to a period of work qualification or to a length of service qualification, which shall not exceed six months).

En Belgique, les formules souples de travail existent déjà dans le cadre du droit au congé parental :

  • droit de demander un régime de travail ou un horaire de travail aménagé pour la période qui suit la fin de l'exercice de son congé parental (maximum 6 mois) ;
  • règles relatives à la demande du travailleur et la réponse de l’

Des mesures de protection doivent également être prévues :

  • la préservation des droits acquis et des droits en cours d'acquisition ;
  • la garantie de retour au même poste ou à un poste équivalent + le droit à toute amélioration des conditions de travail ;
  • la protection contre le licenciement et les mesures préparatoires à un tel licenciement ;
  • une interdiction de la discrimination ;
  • des sanctions efficaces.

3. AVIS

Le CSNPH estime que cette directive ouvre de larges perspectives aux Etats membres et espère que les travailleurs belges pourront en tirer profit. Le CSNPH demande qu’à l’occasion de cette transposition, la Belgique concrétise la reconnaissance de l’investissement des parents d’enfants en situation de handicap et des aidants proches de personnes en situation de handicap ou malades. Le CSNPH rappelle que l’aide apportée à un enfant ou à un proche ne relève pas toujours d’un choix mais s’impose à l’entourage car les biens et les services de soins et d’accompagnement ne sont ni suffisants ni adaptés par rapport aux besoins des personnes et des familles. Le handicap ou la maladie ne s’arrête par ailleurs pas avec la majorité d’un enfant. Le CSNPH insiste donc aussi pour que le gouvernement renforce les dispositifs d’accompagnement aux personnes et familles dans tous les domaines de la vie (soins, transports, emploi, etc.) Voir note de position aidants proches.

En ce qui concerne le congé d’aidant :

L’article 6.2 de la directive prévoit que les États membres peuvent accorder un congé d'aidant sur la base d'une période de référence autre qu'un an, par personne ayant besoin de soins ou d'aide, ou par événement. Le CSNPH estime que l’Etat belge devrait prévoir dans sa législation relative au congé d’aidant proche la possibilité de demander ce congé par événement. En effet, l’aidant n’a pas toujours besoin d’une longue période pour apporter des soins à la personne aidée. Par exemple , il peut être nécessaire de pouvoir accompagner la personne aidée à une séance de chimiothérapie. Un ou deux jours de congé sont alors nécessaires, mais cet accompagnement doit être répété régulièrement.

Le CSNPH s’interroge également sur la portée de l’article 100 ter de la loi de redressement. Celui-ci mentionne notamment :

§ 3. La période pendant laquelle le travailleur peut suspendre l'exécution de son contrat de travail est fixée à un mois par personne nécessitant une aide visée au § 1er.
Le Roi peut, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, prolonger la durée de cette période jusqu'à maximum 6 mois et à cette fin déterminer les autres conditions et modalités.

Actuellement, cette disposition est interprétée de la manière suivante par l’ONEM :

Le droit à la suspension complète est de maximum six mois sur l'ensemble de la carrière professionnelle ou de maximum 12 mois dans le cadre d’une interruption à mi-temps ou d’une interruption d’1/5.

Un travailleur ne peut, en vertu de la réglementation actuelle, prendre qu’un mois de congé pour aidants proches à temps plein (ou 2 mois à mi-temps ou à 1/5) par personne aidée.

En d’autres termes, il peut, au total, prendre 6 mois à temps plein de congé pour aidants proches mais pour 6 personnes aidées différentes.

En général, les aidants proches n’aident pas 6 personnes. C’est souvent une ou deux personnes qui sont aidées par travailleur. Le CSNPH n’a pas connaissance de cas d’aidants proches qui aideraient 6 personnes simultanément ou successivement. De plus, le CSNPH estime que ce n’est pas l’esprit que les parlementaires voulaient insuffler à ce dispositif. Il serait donc hautement souhaitable que soit, la loi soit clarifiée, soit, qu’un arrêté soit pris afin de prolonger la durée de la période d’un mois jusqu'à 6 mois.

De manière générale :

Le CSNPH estime que le montant de l’allocation accordée pour une interruption de carrière est trop faible (851,59 euros par mois pour une interruption à temps complet) pour répondre au considérant 37 de la directive. Les parents seuls, les parents adoptifs seuls, les aidants proches seuls, les parents en situation de handicap ou les parents d’enfants en situation de handicap ont généralement des revenus faibles. Les personnes qui n’ont pas ou peu d’épargne ne peuvent non plus demander un congé d’aidant proche ou un congé pour assistance médicale. Pour les salaires bas et moyens, un paiement du salaire complet est une condition d’utilisation de la mesure. Sans cette condition, la mesure ne sera effectivement accessible qu’aux personnes en couple ou aux personnes seules disposant d’un salaire très élevé.

Le CSNPH demande que les mesures qui seront prévues soient souples sur le plan de leur application (charge administrative, rapportage de la preuve, demande ne devant pas être nécessairement limitée à la gravité de l’état de santé ou à l’exigence de rétablissement de l’état de santé, étalement dans le temps du congé, etc.). Le CSNPH estime qu’il serait utile de créer « un pot » par aidant de 5 jours de congés par événement faisant partie de la fonction d’aidant (au sens large, par exemple un traitement médical hebdomadaire nécessitant un accompagnement de 2 heures) et par an. Ces congés (ou absence de quelques heures) seraient indépendants du congé médical d’aidant. Il devrait être possible d’y avoir accès très facilement, sur base de la seule reconnaissance d’aidant proche au sens de l’arrêté royal du 16 juin 2020 portant exécution de la loi du 12 mai 2014 relative à la reconnaissance de l'aidant proche et à l'octroi de droits sociaux à l'aidant proche. En d’autres termes, il ne devrait pas être nécessaire de justifier auprès de l’employeur la raison pour laquelle l’absence est demandée.

Le CSNPH rappelle que de nombreuses personnes, parents ou aidants, ne sont pas liés par un contrat de travail et n’accèdent donc pas à ces congés rémunérés. Ces personnes et ces familles ont également besoin d’accompagnement.

Le CSNPH souligne aussi les conclusions dégagées à l’occasion du dernier colloque de l'ASBL Aidants Proches (octobre 2020) parmi lesquelles l’épuisement des familles et la nécessité de réinventer certains de nos services sociaux. Et pour citer l’asbl ( page 57) : Concrètement, allons-nous vivre, d’ici quelques temps, un retour à la « normale » (à comprendre comme « le temps d’avant ») ou à la « norme » (c’est-à-dire « ce qui nous dirige, dans l’optique du bien commun ») ?

Le CSNPH a été informé du fait qu’une évaluation de la loi « aidants proches » a lieu en ce moment. Il souhaite être impliqué dans l’évaluation.

4. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à Monsieur Pierre-Yves Dermagne, Ministre du Travail
  • Pour suite utile, à Monsieur Frank Vandenbroucke, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique
  • Pour information à Madame Karine Lalieux, Ministre chargée des Personnes handicapées
  • Pour information à Unia
  • Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD
  • Pour information au Médiateur fédéral