Avis 2025/14
Le secrétariat du CSNPH est actuellement en sous-effectif important.
Le 9 mai dernier, le Comité de direction du Service public fédéral Sécurité sociale a décidé que les collaborateurs qui ne travaillaient plus pour le secrétariat ne seraient pas remplacés.
Cela met le CSNPH en grande difficulté dans la réalisation des missions liées à sa fonction consultative. Très concrètement, les délais réglementaires prévus pour la remise de ses avis devront être allongés.
Avis n° 2025/14 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif au projet de lignes directrices sur l’accessibilité des services bancaires dans le cadre de la transposition de la directive européenne 2019/882.
Rendu en séance plénière du 19 mai 2025.
Avis rendu à la demande de monsieur David Clarinval, vice-premier ministre et ministre de l’Emploi, de l’Économie et de l’Agriculture (lettre du 24 avril 2025).
1. AVIS DESTINÉ
- Pour suite utile à monsieur David Clarinval, vice-premier ministre et ministre de l’Emploi, de l’Économie et de l’Agriculture
- Pour suite utile à madame Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, chargée des Entreprises publiques, de la Fonction publique, de la Gestion immobilière de l’État, du Numérique et de la Politique scientifique.
- Pour suite utile à la Direction générale de l’Inspection économique
- Pour information à monsieur Rob Beenders, ministre de la Protection des consommateurs, de la Lutte contre la Fraude sociale, des Personnes handicapées et de l’Égalité des chances
- Pour information à Unia
- Pour information au Mécanisme de coordination de l’UNCRPD
- Pour information au Médiateur fédéral
2. OBJET
La directive sur les exigences en matière d’accessibilité a été adoptée dans l’Union européenne le 17 avril 2019. Elle impose aux États membres de veiller à ce que tous les produits et services qu’elle énumère soient plus accessibles aux consommateurs. Cela inclut entre autres les services bancaires. Le législateur belge a apporté plusieurs modifications législatives afin de répondre à cette obligation. Un projet de lignes directrices a également été rédigé dans le but de clarifier la législation relative à l’accessibilité des services bancaires.
3. ANALYSE
A. En ce qui concerne la demande d’avis
Une législation relative à l’accessibilité des services bancaires n’est certainement pas superflue. Le CSNPH reçoit régulièrement des plaintes de personnes en situation de handicap concernant le manque d’accessibilité des services bancaires : fermeture de guichets, passage au numérique, distributeurs automatiques inaccessibles…
À titre de mauvais exemple, le CSNPH cite l’introduction problématique du réseau neutre de distributeurs automatiques de billets Batopin. Les banques participantes ont d’abord fait disparaître leurs anciens distributeurs automatiques. Les nouveaux distributeurs automatiques ne sont apparus que des semaines plus tard, de sorte que les clients ont soudainement été privés d’accès à des espèces. En principe, le nouveau réseau devait suffire. Mais en pratique, l’expérience s’est avérée décevante. Dans les grandes villes, le nombre de distributeurs automatiques a fortement diminué, causant de longues files d’attente. Dans des communes plus petites et reculées, il n’y avait parfois plus un seul distributeur automatique. En outre, aucune communication ciblée n’a été adressée à la population, de sorte que beaucoup ne savaient pas où se rendre. Cette situation était très problématique pour le citoyen, et bien plus encore pour les personnes en situation de handicap. À l’époque, le CSNPH a publié un communiqué de presse. Finalement, le ministre compétent est intervenu personnellement et a imposé une amélioration des services.
B. Structure des lignes directrices
Le point 1 des lignes directrices précise le champ d’application. Les lignes directrices s’appliquent à tous les prestataires de services bancaires en Belgique. Les services bancaires visés sont énumérés : contrats de crédit, services et activités d’investissement, services de paiement, monnaie électronique et services liés au compte de paiement.
Le point 2 aborde les exigences en matière d’accessibilité, le point 3 est consacré aux exceptions et les obligations d’information sont traitées au point 4. Ensuite viennent encore les situations particulières (point 5) et les délais (point 6).
Le point 7 concerne l’application de la loi. L’Inspection économique est chargée de contrôler le respect des lignes directrices.
Les points 8 à 10 sont des annexes, parmi lesquelles l’annexe 3 (point 10) « Critères charge disproportionnée » mérite une attention particulière.
4. AVIS
A. Considérations générales
- Le CSNPH se réjouit que le ministre ait sollicité l’avis du CSNPH. À la demande du ministre, le projet de lignes directrices n’est pas joint à l’avis, bien que cela complique les références au texte.
- Le CSNPH est ravi que l’accessibilité des services bancaires devienne une obligation et trouve que le projet est un bon point de départ.
- Le CSNPH estime toutefois que l’accessibilité minimale évoquée ne suffit pas.
- Le CSNPH craint également que les exceptions possibles et les critères de charge disproportionnée soient souvent invoqués comme excuse pour échapper à l’obligation de rendre les services bancaires accessibles.
⇒ Le CSNPH demande à l’Inspection économique de veiller rigoureusement au respect des lignes directrices.
B. Champ d’application
En matière de normes d’accessibilité, le projet de lignes directrices renvoie au site Belgian Web Accessibility.
⇒ Le CSNPH trouve que ces règles manquent d’ambition. Elles sont insuffisantes pour garantir une accessibilité intégrale pour tous.
« Pouvoir retirer des espèces d’un compte de paiement » est l’un des services de paiement repris dans le champ d’application.
⇒ Le CSNPH se demande si les grandes surfaces où il est possible d’obtenir un supplément en espèces lors du paiement sont concernées par ces directives. Dans ce cas, les écrans tactiles qui ne sont pas accessibles aux personnes aveugles et malvoyantes ne pourraient par exemple plus être utilisés. À ce propos, le CSNPH renvoie à son avis 2021/05 relatif à l’accessibilité des terminaux de paiement portables utilisés dans les commerces.
C. Accessibilité des produits et des services
Le projet de lignes directrices mentionne à plusieurs reprises que les consommateurs doivent pouvoir percevoir l’information par le biais d’au moins deux sens différents. « Un texte doit ainsi pouvoir être perçu non seulement par la vue, mais aussi par l’ouïe ou le toucher. » Le CSNPH trouve cette description vague et insuffisante.
Quelques exemples :
- Les personnes sourdes ont besoin à la fois de texte écrit et de langue des signes, étant donné qu’elles ne savent pas toutes lire et/ou ne maîtrisent pas toutes la langue des signes.
- Toutes les personnes aveugles ne maîtrisent pas le braille. De nombreuses personnes deviennent malvoyantes ou aveugles à un âge plus avancé. Souvent, elles n’arrivent alors plus à apprendre le braille.
- Les personnes sourdes-aveugles sont capables de communiquer, mais les informations visuelles ou auditives ne leur sont d’aucune aide.
⇒ Le CSNPH demande que les services bancaires soient accessibles à tous, quel que soit le handicap. Outre le texte écrit, il convient donc également de prévoir des versions en braille, en langue des signes, en langage simple (FALC), une fonction vocale, etc.
⇒ Le CSNPH renvoie au principe de conception universelle (universal design). - La proposition souligne les problèmes d’accessibilité des formulaires en ligne. Souvent, ceux-ci ne sont pas suffisamment accessibles. Pensez notamment aux menus bloquants (par exemple en l’absence de réponse à une question non pertinente), aux problèmes de navigation (cadres inaccessibles, impossibilité de revenir à une question précédente…), aux options de réponse vagues ou manquantes, à l’impossibilité de mettre en pause sans perdre les réponses déjà saisies…
⇒ Les enquêtes en ligne doivent être accessibles à tous. - Les lignes directrices parlent aussi de services d’assistance afin d’aider le consommateur. « Si un prestataire de services offre un service de soutien de ce type, ce service doit également pouvoir répondre aux questions relatives à l’accessibilité. »
⇒ Le CSNPH estime que tous les prestataires de services auxquels s’appliquent ces lignes directrices doivent offrir un service d’assistance. - Le projet évoque à plusieurs reprises les exigences minimales en matière d’accessibilité. Il est évidemment important de les définir, mais ce minimum ne suffit généralement pas à garantir une accessibilité intégrale.
⇒ Le CSNPH demande d’interpréter les exigences minimales en matière d’accessibilité de manière ambitieuse et de viser l’accessibilité intégrale. - Le projet définit et utilise le terme « modifications fondamentales ». Le CSNPH s’interroge quant à la nécessité de cette notion.
⇒ Le CSNPH demande que l’on renvoie explicitement à la législation existante sur les aménagements raisonnables.
D. Accessibilité de l’information
- Les lignes directrices préconisent un niveau de langue B2. Ce niveau de langue est encore trop complexe pour de nombreuses personnes.
⇒ Il convient de présenter aussi les informations importantes dans un langage facile à comprendre (FALC, easy-to-read). - Bien que le numérique – pour autant qu’il soit appliqué de manière accessible – offre de nombreuses possibilités, la fracture numérique est un problème croissant pour de nombreuses personnes en situation de handicap et leur entourage. Même si l’on souhaite entrer en contact par téléphone avec une personne, il faut d’abord parcourir un menu vocal automatisé. Les menus téléphoniques vocaux sont souvent complexes et non adaptés aux questions concrètes du consommateur. Les gens ont peur de se tromper, de répondre trop tard, etc. Pour les personnes porteuses d’un handicap auditif, ces menus audio ne sont pas accessibles. Sur un smartphone, il n’est pas toujours facile d’ouvrir rapidement un clavier virtuel pour indiquer son choix, et certainement pas pour les personnes ayant un handicap visuel.
⇒ Outre les sources numériques, il convient de toujours garantir un accueil téléphonique humain et des guichets avec du personnel.
⇒ Veillez à l’accessibilité des menus de sélection en permettant à la fois la confirmation vocale et à l’aide du clavier. - Le projet accorde une attention particulière à l’utilisation d’un langage clair et simple. Néanmoins, le texte lui-même contient un certain nombre de phrases – souvent avec plusieurs négations – qui sont sujettes à interprétation :
- « L’absence d’un document dans cet aperçu ne signifie pas que ce document ne doit pas être compréhensible. » (Proposition : « Tous les documents destinés au public doivent être accessibles. Cette condition s’applique également aux documents qui ne sont pas repris dans l’aperçu. »)
- « Si l’un de ces deux cas se produit et que le prestataire de services peut donc bénéficier d’une exception, cela ne signifie pas que le prestataire de services ne doit plus du tout tenir compte de l’accessibilité des services pour les consommateurs. » Le CSNPH aimerait savoir ce que cela signifie concrètement.
⇒ Le CSNPH souhaite des lignes directrices claires qui ne laissent aucune marge à l’interprétation. - La terminologie utilisée n’est pas toujours cohérente. Ainsi, dans la version néerlandaise, on trouve notamment les termes suivants : « minimum toegankelijkheidsvoorschriften » (en deux mots), « minimumtoegankelijkheidsvoorschriften » (en un mot), « minimumvoorschriften », « minimum toegankelijkheidsvereisten » et « minimum toegankelijkheidsvoorwaarden ».
⇒ Le CSNPH souhaite une terminologie claire et uniforme, tant dans la version française que dans la version néerlandaise.
E. Exceptions
- Le projet prévoit des exceptions au respect des exigences minimales en matière d’accessibilité. Ces exceptions sont les suivantes :
- une modification fondamentale du service : cela signifie que le prestataire de services devrait modifier le contenu du service de manière si radicale que le service deviendrait méconnaissable ou inexécutable ;
- une charge disproportionnée: cela signifie que le coût, pour le prestataire de services, de se conformer à ces exigences est trop élevé par rapport à l’avantage en terme d’accessibilité pour le consommateur.
⇒ Le CSNPH souhaite qu’il n’y ait pas d’exceptions, parce que les services bancaires doivent être accessibles à tous, sans surcoût pour la personne en situation de handicap.
- Il revient au prestataire de services de démontrer la modification fondamentale ou la charge disproportionnée. Le CSNPH s’interroge néanmoins quant à l’exemple donné : « Toutefois, si l’application des exigences minimales en matière d’accessibilité entraîne, par exemple, la numérisation complète d’un chèque papier, cela peut être considéré comme une modification fondamentale pour laquelle une exception s’applique. » En général, c’est justement l’inverse qui se produit : la version papier disparaît et il ne reste plus que l’option numérique – souvent peu accessible.
⇒ Le CSNPH demande que cet exemple irréaliste soit supprimé ou adapté. - « (…) si le service est sous-traité à un tiers, le prestataire de services doit continuer de veiller au respect des exigences minimales en matière d’accessibilité. » Le prestataire de services qui sous-traite reste donc responsable.
⇒ Comment l’accessibilité du service externalisé est-elle contrôlée ? Qui effectue le contrôle ? Le prestataire de services ? Est-il compétent et motivé pour le faire ? Ou uniquement l’Inspection économique ? - « Les fichiers médias préenregistrés d’une durée limitée ne doivent pas satisfaire aux exigences minimales en matière d’accessibilité s’ils étaient déjà publiés sur le site web avant le 28 juin 2025 (ou 2030 dans le cas des micro-entreprises). »
⇒ Le CSNPH exige qu’au moins les informations essentielles soient toujours accessibles à tous, quel que soit le handicap.
F. Application
- L’Inspection économique est compétente pour contrôler le respect des exigences en matière d’accessibilité dans les services bancaires. Les lignes directrices conseillent au consommateur de prendre d’abord contact avec le prestataire de services en cas de problème. Si aucune solution n’est trouvée, le consommateur peut s’adresser à l’Inspection économique.
⇒ Le CSNPH se demande si l’Inspection économique sera dotée des moyens et de l’expertise nécessaires afin de contrôler le respect des exigences en matière d’accessibilité dans les services bancaires.
⇒ L’application de la loi sera-t-elle une priorité de l’Inspection économique ? En l’absence de contrôle, le respect des exigences en matière d’accessibilité risque de dépendre de la bonne volonté des institutions bancaires. - Les consommateurs peuvent également faire appel à d’autres organismes si ceux-ci sont disposés et habilités à agir au nom du consommateur. Le CSNPH note que le projet de lignes directrices ne mentionne qu’un nombre limité d’organismes – principalement flamands –, y compris dans la version française : l’asbl Dito, STAN – Trefpunt Verstandelijke Handicap, GRIP asbl, Onafhankelijk Leven asbl et Licht en Liefde.
⇒ Le CSNPH formule encore quelques suggestions non exhaustives : Unia, Vlaams Mensenrechteninstituut, le Médiateur fédéral, le CAWaB, Inter, Symfoon…
G. En conclusion
- Le CSNPH renvoie également à ses avis précédents sur l’accessibilité des services bancaires, notamment :
- Avis n° 2020/01 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à l’augmentation des tarifs bancaires le 01/01/2020, rendu en séance plénière du 20/01/2020
- Avis n° 2020/26 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à l’accessibilité des services bancaires, rendu en séance plénière du 21/12/2020.
- Avis n° 2021/30 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à la mise en place d’un service bancaire universel (SBU).
- Dans son exposé d’orientation politique Numérique et son exposé d’orientation politique Fonction publique, madame Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques, chargée des Entreprises publiques, de la Fonction publique, de la Gestion immobilière de l’État, du Numérique et de la Politique scientifique, promet également d’accorder de l’attention aux solutions non numériques. Le moment est venu de mettre ces promesses en pratique.
⇒ Le CSNPH ne manquera pas de rappeler ses promesses à la ministre.