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Avis 2022/18

Avis n° 2022/18 du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CSNPH) relatif à l’avant-projet de loi transposant partiellement la directive 2019/882 relative aux exigences en matière d'accessibilité des produits et services, notamment en ce qui concerne les services bancaires et de commerce électronique destinés aux consommateurs et à la directive, rendu en séance plénière du 25/04/2022.

Avis rendu à la demande du SPF Économie du 17 mars 2022 et à la demande de la Commission consultative spéciale « Consommation » au sein du Conseil central de l’économie (CCE) du 24 mars 2022.

1. AVIS DESTINÉ

  • Pour suite utile à Monsieur Pierre-Yves Dermagne, Vice-Premier ministre et ministre de l’Economie et du Travail
  • Pour suite utile au SPF Economie
  • Pour suite utile à la Commission consultative spéciale « Consommation » au sein du Conseil central de l’économie (CCE)
  • Pour information à Madame Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris
  • Pour information à Unia
  • Pour information au Mécanisme de Coordination de l’UNCRPD
  • Pour information au Médiateur fédéral

2. OBJET

Le champ d’application du projet de loi est limité aux services bancaires aux consommateurs et au commerce électronique.

3. ANALYSE

L’avant-projet prévoit une transposition partielle de la directive (UE) 2019/882 et se limite aux services bancaires aux consommateurs et aux services de commerce électronique. Les autres services et produits (en ce compris les produits utilisés pendant la prestation du service) sont répartis entre d’autres administrations régionales et fédérales, conformément à leurs domaines de compétence, et sont transposés dans leurs lois organiques respectives.

Au début de cette année 2022, le CSNPH a déjà émis un avis sur un projet d’arrêté royal qui prévoit également la transposition partielle de cette directive (avis 2022/04). Bien qu'il existe d'importantes similitudes entre le présent avant-projet de loi et le projet d'arrêté royal, il existe également de nombreuses différences, notamment en ce qui concerne le champ d'application et certaines procédures spécifiques, telles que la procédure de plainte.

Pour rappel, l’objectif de la directive (UE) 2019/882 est de prévoir une plus grande disponibilité de produits et services accessibles aux personnes handicapées et d’améliorer l’accessibilité des informations pertinentes pour elles. Il s’agit notamment d’éliminer et de prévenir des obstacles qui entravent la libre circulation et d’imposer des exigences spécifiques en matière d’accessibilité pour certains produits et services.

La directive contient un ensemble de dispositions minimalistes et enjoint les états à en faire une transposition ambitieuse. Le présent avant-projet de loi vise uniquement les services bancaires aux consommateurs et au commerce électronique.

L’élimination et la prévention des obstacles sont prévus via l’implémentation d’exigences fonctionnelles minimales ou d’exigences techniques spécifiques, selon les domaines. La directive stimule en outre l’utilisation de normes harmonisées. Enfin, la directive ne modifie en aucun cas le caractère obligatoire ou volontaire des dispositions en matière d’accessibilité d’autres actes de l’Union.

Les différentes exigences en matière d’accessibilité sont reprises à l’annexe I de la directive (UE) 2019/882. Ainsi par exemple, les entreprises doivent fournir des informations sur le fonctionnement des services qu’elles proposent, ces informations doivent être proposées au moyen de plusieurs canaux sensoriels et les informations doivent être présentées de façon compréhensible et perceptible.

L’annexe II de la directive (UE) 2019/882 donne un aperçu d’exemples indicatifs non contraignants qui illustrent comment satisfaire aux exigences en matière d’accessibilité. Un exemple concret est que l’interface utilisateur du service de paiement utilisée pour les achats en ligne est rendue disponible via la voix afin que les personnes aveugles puissent faire des achats en ligne de façon indépendante.

Les quatre principes d’accessibilité des sites web et applications mobiles, constituent également un fil conducteur par rapport aux informations et aux interfaces utilisés : perceptibilité, opérabilité (utilisabilité concrète), compréhensibilité et solidité (le contenu doit être suffisamment solide pour être interprété de manière fiable par une grande diversité d’agents utilisateurs, y compris des technologies d’assistance).

Le texte intègre l’impact de ces exigences en matière d’accessibilité sur les entreprises. Afin de trouver un équilibre entre les besoins d’accessibilité des personnes handicapées et les possibilités des entreprises de répondre à ces besoins, le projet de loi prévoit trois exceptions. Ces exceptions doivent toujours être interprétées de façon restrictive afin d’éviter tout abus. Il s’agit en particulier :

  • d’une exception générale pour les microentreprises ;
  • d’une exception quand les services doivent être modifiés de façon trop significative. Si l’application des exigences en matière d’accessibilité a pour conséquence que l’entreprise doit modifier la nature essentielle du service de façon fondamentale, les exigences en matière d’accessibilité ne doivent alors pas être appliquées ;
  • une exception aux exigences quand les entreprises peuvent démontrer que les exigences en matière d’accessibilité constituent une charge disproportionnée.

Les différentes obligations des entreprises de tenir à jour et de fournir les informations concernant l’accessibilité des services pertinents ont également un impact sur les entreprises. L’impact assessment de la Commission européenne (SWD /2015) 264 final) part du principe selon lequel les entreprises ne doivent rédiger la documentation qu’une seule fois par service, pour autant que le service ne change pas. Il est intéressant de noter que la rédaction de la documentation sur l’accessibilité des services de commerce électronique et des services bancaires est évaluée à une journée de travail de 8 heures et coûterait € 144 par entreprise et par service.

Outre le livre VIII du Code de droit économique, les livres XV et XVII sont eux aussi modifiés. Les dispositions d’application et la possibilité d’intenter une action en réparation collective (« class action ») sont insérées respectivement dans ces livres.

Afin de donner aux prestataires de services le temps d’appliquer les exigences en matière d’accessibilité, une période transitoire est prévue jusqu’au 28 juin 2030. Pendant cette période transitoire, les prestataires de services ont la possibilité de continuer à fournir leurs services en utilisant des produits qu’ils utilisaient légalement pour fournir des services similaires avant cette date. Les contrats de services convenus avant le 28 juin 2025 peuvent en outre courir sans modification jusqu’à expiration, et ce, jusqu’à cinq ans à compter de ladite date.

4. AVIS

La demande d’avis porte sur un texte dense et technique. Le CSNPH évalue difficilement à ce stade ce que pourraient être les produits et services « finis » en termes d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Le CSNPH demande de recevoir très rapidement un aperçu concret de ce qui sera développé.

Le CSNPH a déjà rendu de nombreux avis dans ce dossier du European Disability Act (EAA). Au fil du temps et des textes qui lui sont soumis pour avis, le CSNPH nourrit le sentiment d’être confronté à « un train qui file à toute allure et qui ne se soucie absolument pas de savoir si les passagers concernés par le voyage pourront embarquer ». Pire, l’ambition de la Commission européenne de rapprocher les citoyens les plus faibles des biens et des services (digitaux) de première nécessité, n’est plus une priorité. Le législateur belge - qui a résolument opté pour une transposition minimaliste de la directive dans tous les domaines qu’elle vise - parait avoir plus à cœur de bétonner les exceptions qui permettront aux entrepreneurs économiques d’échapper à l’application de la directive que d’encourager un mouvement de mise en accessibilité. Comment raisonnablement attendre que les destinataires économiques s’engagent dans des politiques de mise en accessibilité si l’Etat lui-même ne l’exige pas ?!

Le CSNPH regrette amèrement le maintien des 3 exceptions. Dans les faits, la charge disproportionnée liée à la mise en concordance est souvent avancée pour échapper à la mise en conformité des produits et des services. C’est bien évidemment inacceptable et la période transitoire devrait être mise à profit pour débuter le travail de collaboration entre les acteurs bancaires et de l’e-commerce (en ce compris les micro-entreprises) et les associations qui ont les compétences techniques de l’accessibilité (CAWaB, Inter). Le CSNPH rappelle que l’accessibilité est une niche économique peu exploitée actuellement et à gros potentiel de développement.

La fracture numérique est une réalité multiforme. La digitalisation peut tout aussi bien être un enfer(mement) pour les personnes en situation de handicap qu’une opportunité. L’accès au numérique doit permettre de réduire un bon nombre de barrières rencontrées par certaines personnes en situation de handicap, faute de quoi, la digitalisation génère l’exclusion et non pas l’inclusion. Il s’agit dès à présent d’opérer un changement d’approche à la création de produits digitaux et de considérer que ce qui est accessible aux personnes en situation de handicap se révèle aisé à utiliser pour tous. L’accessibilité d’un produit ou d’un service doit donc d’abord être pensé du point de vue des personnes en situation de handicap.

La fracture numérique peut être liée à des questions financières. Handicap et pauvreté sont souvent liés ; l’achat d’un ordinateur et d’abonnements internet fixe et mobile sont souvent des obstacles pour les personnes en situation de handicap. Les modules et programmes d’adaptation génèrent aussi des coûts supplémentaires. Les aides à l’accès à l’internet, à l’acquisition de matériel (général et spécifique) ainsi que la formation à l’usage de ces équipements doivent être revues à la hausse.

La fracture numérique n’est pas uniquement financière : bien d’autres défis et situations d’inaccessibilité sont à épingler parmi lesquels :

  • Pour les personnes aveugles : e-loket, e-commerce, gouvernements (e-government), banques, itsme, élections, app transports publics, myhealth, réservation transports publics (SNCB), parking/scan car, réservation médecin, écran tactile, tickets numériques et attribution uniquement visuelle du tour de rôle (numéro de série non en braille, uniquement signal visuel et/ou sonore pour annoncer le tour de rôle, mais sans appel), robots d’indentification et CAPTCHA... sont souvent inaccessibles.
  • Personnes paralysées : problèmes de fonctionnement, de toucher, etc.
  • Personnes sourdes : absence d'interprètes dans les réunions en ligne, absence de bulles en langue des signes sur les sites web, absence de sous-titres, etc. Souvent, en cas de panne d’alimentation, il est très difficile voire impossible pour une personne déficiente auditive de contacter le fournisseur. L’aide directe se fait par téléphone. L’aide via internet n’est généralement pas traitée en priorité.
  • Même les dépliants en papier se limitent parfois à une référence à un lien. Actuellement, la version complète de presque tous les modes d'emploi et parfois même les dosages des médicaments ne sont plus disponibles que sur les sites internet .
  • Généralisation des consultations vidéo : cela génère de grosses difficultés pour les personnes aveugles, sourdes et personnes atteintes d’un handicap intellectuel (aide humaine nécessaire, langue des signes, explications, travail avec Zoom, etc.). Ici tout spécifiquement, les deux canaux (consultation physique et consultation vidéo) doivent continuer à coexister.
  • Robots d’indentification et CAPTCHA sont aussi totalement inaccessibles aux personnes aveugles
  • Accès à la lecture (hors logiciels spécifiques de synthèse vocale) constitue un prérequis pour accéder au numérique. Or, il reste une part importante de la population pour qui la lecture n’est pas accessible et ne le sera jamais. Pour toutes les personnes en situation de handicap dont le handicap empêche la lecture, la digitalisation est un défi : le contenu des informations est aussi à simplifier. Pour autant que les applications, les sites internet ET leurs contenus (ces derniers sont trop souvent négligés voire oubliés) soient accessibles, l’évolution numérique est propice à la réduction de nombreuses barrières pour les personnes en situation de handicap.
  • Accessibilité des documents à télécharger. Ceux-ci sont très nombreux, tout particulièrement dans les services bancaires. Ils sont généralement disponibles au format PDF (rarement accessible), ils comportent bien souvent des tableaux (eux aussi rarement accessibles). Il en résulte donc que même si le site internet est accessible, les services qui peuvent être rendus en ligne restent quand même inaccessibles si les utilisateurs ne peuvent pas compléter les documents mis à disposition.
  • Le FALC (« Facile à lire et à comprendre » – « easy to read ») devrait être systématisé.
  • La possibilité de déposer plainte : même auprès des ombudsmen, les formulaires à compléter ne sont pas accessibles
  • Les cookies augmentent le nombre de réflexes et de manipulations. La fonction « accord partiel/ cookies indispensables » est peu accessible et ralentit l’accès à l’information.
  • Les updates sont trop récurrents et du coup souvent inaccessibles.
  • Souvent dans un premier temps, les applications sont gratuites et puis deviennent payantes.

L’accessibilité ne tient pas en une réponse unique car il faut tenir compte du handicap spécifique : physique (fauteuil roulant, paralysie, etc.), visuel, auditif, intellectuel, de la parole, etc. Chaque type de handicap a ses propres défis. Dans le même temps, la révolution numérique offre également de nombreuses possibilités et solutions, pour autant que les différentes déficiences soient prises en compte.

La digitalisation ne peut jamais être la réponse unique à la fourniture de produits et de services. La multiplicité des supports de communication ET la multiplicité des contenus informatifs doivent impérativement continuer à coexister. A côté de la digitalisation, il reste aussi essentiel de pouvoir concentrer les réponses en un lieu : endroit physique, support physique, accompagnement humain.

Le CSNPH encourage l’harmonisation normative technique car de nombreux concepteurs attendent des cadres de développement clairs. Il s’agit de former les développeurs mais aussi les fournisseurs de services. Tous les utilisateurs des sites devraient être impliqués dès le début des développements. La structure fédérale de la Belgique génère différentes réglementations en vigueur entre régions. Il n'est pas toujours évident d’identifier non plus quel niveau est compétent. La consultation et l'harmonisation entre les niveaux sont nécessaires. Les besoins généraux en matière d’accessibilité rencontrés par les personnes en situation de handicap sont les mêmes, quelle que soit la région dans laquelle elles habitent. Une base commune doit exister. Des référentiels précis doivent être disponibles.

L’accès à l’internet mobile est également une grande source de confort pour les personnes qui rencontrent des difficultés à la marche. L’information en temps réel permet de limiter le nombre d’impasses dans lesquelles se retrouvent bien souvent les personnes dans leurs déplacements (travaux, pannes d’ascenseurs ou d’escalators, localisation d’emplacements ou d’itinéraires pour les personnes en fauteuil roulant…). C’est également vrai pour les personnes rencontrant des difficultés d’orientation, de mémorisation…

L’accessibilité doit toujours répondre à 5 exigences : utilisable, disponible, accessible, payable, compréhensible. Les personnes en situation de handicap doivent aussi pouvoir compter sur de l’assistance, en toute occasion, de manière gratuite, et quelle que soit la déficience. Par ailleurs, le CSNPH insiste lourdement pour que l’offre et l’accès à des formations spécifiques au numérique soient renforcés.

Le CSNPH souligne aussi l’enjeu de la confiance dans l’internet pour les personnes en situation de handicap : les personnes aveugles et les personnes porteuses d’une déficience intellectuelle dépendent des tiers … Souvent aussi, les personnes acceptent sans réserve et donc lorsque surgissent les problèmes, la méfiance par la suite est énorme.

Sur les sanctions, si la réglementation les prévoit, dans les faits elles sont souvent inappliquées. Ce qui n’incite absolument pas les entrepreneurs et fournisseurs à se mettre en conformité. Il existe des organismes (Ombudsman, Unia …) qui font un bon travail de médiation et de sensibilisation. Il serait bon qu'il y ait également des consultations conjointes entre ces organismes pour une vue d'ensemble et un échange de bonnes pratiques. Mais cela ne suffit pas. Il faut assouplir les procédures de plainte collective et rendre plus conditionnel le classement sans suite des plaintes par les Parquets.